Quand les Biterrois dirent “non” au pape Innocent III (1/4)

Simon de Montfort, baron d’Ile-de-France, devient vicomte de Béziers.
(Midi Libre 2014)
29.10.2014 – En 1209, les croisés du pape et du roi assiègent la ville. Les habitants refusent de livrer les cathares. Par serment, ils s’engagent à s’unir aux hérétiques pour défendre Béziers.
La première rébellion des Biterrois face au pouvoir de l’Église catholique romaine remonte au XIIIe siècle. Une époque où son autorité sur l’Occident chrétien ne souffre pas d’être remise en cause. D’ailleurs peu s’y risquent, la menace de l’excommunication n’étant jamais très loin. Pourtant, dans le sud de la France, et notamment sur les terres du comte de Toulouse, Raimon VI, et de son vassal, Raimon-Roger, vicomte de Carcassonne, de Béziers et du Razès, l’hérésie cathare se développe en toute liberté. Et avec même une bienveillante tolérance des autorités.
Ouverture d’esprit
Anne Brenon dans Le vrai visage du catharisme (Éditions Loubatières) présente ainsi leur croyance : “Le catharisme fut un évangélisme : l’observance à la lettre des préceptes du Christ est l’un des points centraux du propos de vie cathare. Non violents absolus, refusant mensonge et serment, les cathares se manifestèrent aux populations chrétiennes comme des prédicateurs, itinérants et pauvres individuellement, de la parole de Dieu.” Ils prêchent à partir du Nouveau testament, traduit en langue vulgaire. Leur doctrine repose sur le dualisme : du bien, créateur du monde spirituel ; du mal, créateur du monde matériel.
Yves Rouquette dans Béziers, les rues racontent, (NPL Éditeur) rappelle : “Aucune obligation n’incombait aux simples croyants : ni office, ni impôt.” À l’heure de la mort, pour être délivrés du mal, ils pouvaient demander le baptême dans l’esprit : le “consolament”. Cette simplicité et ce dépouillement trouvaient un large écho auprès des populations.
Prospérité des juifs
La communauté juive biterroise semble bénéficier de la même ouverture d’esprit que les cathares. Jusqu’au milieu du XIIe siècle, ils avaient subi des jets de pierre pendant la Semaine sainte – pour leur faire payer la crucifixion du Christ – mais ils avaient obtenu, contre de l’argent payé au comte et à l’évêque, que ces pratiques cessent. La médiéviste Monique Bourin souligne dans Histoire de Béziers, sous la direction de Jean Sagnes aux Éditions Privat : “À Béziers, comme dans les autres villes méridionales, il n’y avait pas cette animosité contre les juifs, ponctuée de crises de violence, qui caractérisait bien des villes du nord. Que les juifs aient eu encore à cette époque d’abondantes propriétés foncières révèle la stabilité dans laquelle ils vivaient, contrastant avec les pays plus septentrionaux où ils étaient sous la menace permanente de l’expulsion.”
Un esprit laïc et indépendant
Par ailleurs, pour l’historienne : “Il ne fait aucun doute que, dans tout le Midi, souffle un esprit assez laïc dès le milieu du XIIe siècle, à la ville comme à la campagne. Ainsi, les premières formes de représentations de la population se constituent hors de la tutelle ecclésiastique, tandis que, dans bien d’autres régions, le curé du village reste longtemps le porte-parole des fidèles et que la paroisse reste la seule structure d’encadrement de la population.” À Béziers, les habitants sont attachés “à leur mode de gouvernement, à leurs franchises telles qu’elles déterminent leurs seigneurs et l’expression de leur solidarité interne”.
La bourgeoisie, composée de propriétaires terriens, de marchands, d’entrepreneurs, de banquiers, d’hommes de loi, a profité des tiraillements entre les évêques et les vicomtes pour acquérir des droits. La première mention d’un consulat apparaît dans des textes datant de 1131.
La pression du pape
C’est dans ce contexte qu’Innocent III est élu à Rome en 1198. Il développe une doctrine théocratique, basée sur la Réforme grégorienne, et convoque le IVe concile du Latran. “Vicaire du Christ”, et donc autorité suprême sur l’Occident chrétien, il ne peut tolérer l’hérésie cathare. En 1205, Guillaume de Rocozels, évêque et natif de Béziers, a osé le défier. Malgré les ordres des légats pontificaux – des cisterciens, qui veulent l’obliger à faire abjurer l’hérésie aux consuls et à les excommunier s’ils n’obtempèrent pas -, il ne cédera pas. Suspendu par le pape, il est assassiné peu de temps après.
Alors, le souverain pontife exhorte le roi de France à lancer une croisade. Philippe-Auguste finit par donner l’autorisation au duc de Bourgogne et au comte de Nevers de partir se battre. Le 22 juillet 1209, les croisés, mené par le légat Arnaud Amaury, abbé de Cîteaux, sont sous les remparts de Béziers, première ville à prendre, même si elle n’est pas à proprement parler, “un foyer d’hérétiques”.
Solidarité entre Biterrois
Là encore, les Biterrois bravent l’autorité papale et font valoir la solidarité entre tous les habitants. Lorsque le nouvel évêque de Béziers, Reginald II de Montpeyroux annonce que le représentant d’Innocent III ordonne de livrer les hérétiques – sinon tout le monde sera tué – la réponse est cinglante : les catholiques “s’engagèrent par serment à s’unir aux hérétiques pour défendre la ville contre les croisés”. Guillaume de Tudèle, auteur de La chanson de la croisade, rajoute même : “Nous nous laisserons noyer dans la mer salée plutôt que de changer quoi que ce soit à notre façon de nous gouverner.” La suite, nous la connaissons : Béziers a été mise à feu et à sang.
La période, qui succède à “lo gran mazel”, est faite de soumissions et de rébellions contre le nouveau pouvoir. Il faut attendre les règles édictées par Louis IX pour pacifier le Biterrois et – surtout – signifier fermement aux habitants que, désormais, l’autorité, c’est le roi et le pape.
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Religion : en 1562, les protestants sont maîtres de Béziers (2/4)

Dans l’hôtel de Sorgues, rue Mairan, le lieutenant du duc de Joyeuse est molesté. (Midi Libre © D.R)
30.10.2014 – L’assassinat du pasteur Vives déclenche des émeutes sanglantes réprimées par les troupes du lieutenant du roi. Peu de temps après, Béziers est reprise par les religionnaires.
La diffusion du protestantisme à partir du XVIe siècle va donner lieu à de nombreux épisodes des guerres de religions. Dans le Biterrois, les seigneurs de Magalas, Servian et Faugères sont convertis aux thèses de Martin Luther et n’hésitent pas à prendre les armes pour défendre et propager la Réforme.
À Béziers, la propagation est plus lente, mais elle atteint son paroxysme en 1562, année marquée par des événements meurtriers qui ne laisseront pas la ville indemne. Les Biterrois se sont une fois de plus rebellés contre l’Église catholique romaine et ils le payeront cher.
Yves Rouquette relate dans Béziers, les rues racontent (NPL Éditeur) qu’en 1543 “un nommé Salicet était venu d’Alzonne, vendant des bibles”. L’évêque Jean de Lettes l’a fait arrêter et il a été brûlé vif. Mais ce même évêque s’est résigné la même année et il est parti se marier à Genève. Ce tragique événement n’a pas empêché, en 1551, l’élection de cinq protestants au consulat de la ville. L’auteur y voit le signe que : “L’hérésie, en très peu de temps avait recruté jusque chez les notables. C’est assez pour comprendre aussi que Béziers, comme à l’époque des cathares et des vaudois, s’était plutôt bien accommodée de l’hérésie nouvelle.”
Des protestants élus au consulat
Du côté de l’autorité royale, et donc catholique, l’heure est à la plus vive inquiétude. L’historien Michel Fournier rapporte dans Histoire de Béziers, sous la direction de Jean Sagnes aux Éditions Privat : “C’est peut-être des adhésions comme celles-là (NDLR : l’élection des consuls protestants) qui font écrire à Théodore de Bèze dans son “Histoire des Églises Réformées” que les réformés sont en majorité à Béziers sous le règne de François II.”
En 1561, Laurent Strozzi, est nommé évêque de la ville, en accord avec le Vatican, par sa cousine la régente, et très catholique, Catherine de Médicis. Lui aussi s’alarme : «…les officiers de police sont, partie prévenus d’hérésie, partie suspects, et partie ignorants des saintes lettres…” Yves Rouquette précise que plusieurs fois, les protestants se rassemblent “sur la place et la font retentir de leurs psaumes”. Ils vont jusqu’à “conspuer l’évêque” qui fait appel aux troupes de Guillaume de Joyeuse, lieutenant du roi. Cela ne change rien : “Visiblement, il ne peut pas compter sur les catholiques de Béziers (…) Rien n’indique qu’ils se mobiliseront pour la défense d’un évêque étranger, grand seigneur et gros propriétaire.”
Influente Catherine de Médicis
C’est ce moment que choisit le duc de Joyeuse pour arrêter le pasteur Antoine Vives. Il est assassiné par les troupes royales lors de son transfert à Carcassonne. Michel Fournier raconte : “Alors les protestants s’émeuvent, s’arment et manquent faire un mauvais parti à Laudun, lieutenant de Joyeuse.” Le greffier de la ville, le protestant Jean Lyon est poignardé et la troupe charge sur les manifestants, provoquant de nouveaux morts. De nombreux protestants sont arrêtés et expulsés.
En 1562, les guerres de religion éclatent en peu partout en France. À Béziers, Laurent Strozzi a été sobrement remplacé, toujours par décision de Catherine de Médicis, par Julien de Médicis à la tête de l’évêché. Ce dernier, comme le souligne Robert Cavalié dans Béziers, Histoire d’en parler (Éditions du Mont), est un “homme sûr et dévoué”. Mais il est aussitôt confronté à la réalité du terrain : “Descendue de Faugères, une troupe de 1 200 religionnaires armés pénètre dans la ville.” Ils sont menés par Jacques de Crussol, adjoint du prince de Condé, qui est déjà maître de Montpellier.
Ce qui frappe dans cette insurrection, selon Michel Fournier, c’est : “L’objet de leur fureur iconoclaste, les églises, la cathédrale dont les reliques sont dispersées au vent, les couvents et en particulier celui des frères prêcheurs dont les autels sont souillés, les ornements mutilés et l’édifice entier considéré comme une carrière de matériaux et, ça et là, les objets du culte, calice, ciboires, chasubles, reliquaires, devants d’autels, pillés, fondus, le domaine d’été de l’évêque de Lignan saccagé.”
Saccages des églises
“Comme s’il y avait un compte à régler avec l’Église, poursuit l’historien, ce sont les détenteurs de sa puissance, de son autorité morale, de ses interdits qui sont frappés.” L’évêque est taxé d’impôt, le culte protestant se fait en public et, “un certain Bergé, pâtissier, tout au long du carême fait crier par la ville ses petits pâtés étant de chair, en moquerie des constitutions de l’Église.” Les protestants restent maîtres de Béziers pendant toute une année. Par précaution, le présidial, tribunal de justice de l’Ancien Régime, est délocalisé sur Lodève.
La Paix d’Amboise, signée en 1563 par le prince de Condé, chef des protestants, et Anne de Montmorency, celui de l’armée catholique, met fin, provisoirement, aux hostilités. Sur Béziers, les réformés continuent à exercer leur office en ville et c’est l’intervention des troupes du gouverneur de la province Henri 1er de Montmorency-Damville qui ramène le calme.
À la fin de l’année 1564, Catherine de Médicis et son fils Charles IX peuvent venir tranquillement à Béziers. Yves Rouquette résume : “L’évêque se plaint, les catholiques protestent de leur fidélité, les huguenots se font petits.” Aucun massacre n’a lieu pour la Saint-Barthélémy. Michel Fournier note même que : “Joyeuse, conseillé par le seigneur de Perdiguier et plusieurs nobles catholiques, non seulement ne menace ni n’arrête les protestants mais les faits prévenir en secret de prendre leurs sûretés.”
Du côté de l’évêché, Catherine de Médicis ne lâche rien. La dynastie épiscopale des Bonsi commence et la ville se retrouve quadrillée par les congrégations religieuses catholiques. Une habile façon de contrôler la docilité des Biterrois.
À lire demain
Pendant la Révolution, l’Église perd sa puissance économique et son influence idéologique. Béziers perd également l’évêché au début du XIXe siècle.
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Religion à Béziers : l’Église perd sa puissance pendant la Révolution (3/4)

L’abbé Martin rachète l’église Saint-Aphrodise après la Révolution.
(Midi Libre – Pierre Saliba)
31.10.2014 – Omniprésents en ville, les lieux du culte sont déclarés biens nationaux. Les prêtres doivent prêter serment ou s’exiler. Les offices sont rétablis en 1798 mais Béziers perd l’évêché.
À la veille de la Révolution française, les biens de l’Église catholique romaine sur Béziers concernent, comme le souligne Jean Sagnes dans Histoire de Béziers aux Éditions Privat, “27 % du diocèse, contre 3 % seulement de celui de Montpellier, et 20 % de la superficie bâtie de la ville”. Antonin Soucaille, historien local et président de la Société archéologique, auteur de Béziers pendant la Révolution 1789-1800, paru en 1894, énumère ses possessions : “Notre ville possédait alors un évêque, un chapitre cathédrale, un chapitre collégial de Saint-Aphrodise, un chapitre de chanoines réguliers de Sainte-Geneviève de Saint-Jacques avec nomination d’abbés par le roi, les cinq paroisses de Saint-Nazaire, Saint-Aphrodise, la Madeleine, son annexe Saint-Félix, et Saint-Jacques.”
Il y avait également les paroisses annexes ou rurales au nombre de treize ; un séminaire de Lazaristes ; l’ancien collège des Jésuites dirigé par des prêtres séculiers ; sept couvents de religieux ; trois commanderies de Saint-Jean de Jérusalem ; quatre couvents de religieuses ; deux hôpitaux dirigés par des religieuses ; une maison de charité “qui fournissait le bouillon aux pauvres honteux” ; plus les confréries de Pèlerins et de Pénitents et les associations de femmes dévotes.
Perte d’influence
La plupart de ces établissements vont être mis en vente comme biens nationaux. “D’un seul coup l’Église perd sa puissance économique et par là même une partie de son influence idéologique” constate Jean Sagnes. La première semonce est venue du décret pris le 2 novembre 1789 par l’Assemblée constituante : tous les biens ecclésiastiques sont mis à la disposition de la Nation pour rembourser les dettes de l’État. À charge pour lui de pourvoir d’une manière convenable aux frais du culte, à l’entretien des ministres et au soulagement des pauvres. Quelques années plus tard, sous la Terreur, Yves Rouquette dans Béziers les rues racontent (NPL Éditeur) relate :
“Dans l’impasse Sainte-Ursule, le couvent des ursulines a été transformé en prison. Celui des dames du Saint-Esprit, rue du Saint-Esprit, en fabrique de salpêtre. La Madeleine est devenue un dépôt de grains puis de chaussures, Saint-Félix un magasin à fourrage puis une boucherie, tandis qu’à Saint-Jacques on fabrique des baïonnettes (…) Saint-Nazaire est déclarée temple de la déesse Raison puis de l’Être suprême.” L’église Saint-Aphrodise devient un magasin militaire – elle est rachetée, après la Révolution, par l’abbé Martin dont le premier enfant baptisé sera le futur père Gailhac – et le couvent des Clarisses est vendu à des particuliers. Et ce, malgré l’intervention du maire Jean Bouillet dont Antonin Soucaille rapporte les propos devant le conseil politique : “Il n’est pas de citoyen dans cette ville qui n’ait pour elles le plus grand respect et la plus grande vénération.” Le Frère Jean-Baptiste Auberger, auteur d’Un monastère à travers les siècles : les clarisses de Béziers écrit qu’après l’achat d’une maison rue du Bel-Air, “sept d’entre elles dont une converse, reprennent la vie commune, le 5 avril 1819”.
Le 12 et le 24 juillet 1790, l’Assemblée constituante a réorganisé le clergé séculier français. Prêtres et évêques deviennent des fonctionnaires élus qui doivent prêter serment à cette constitution. À Béziers ce n’est pas allé sans une certaine résistance. Étienne Sabatier, avocat et membre de la Société archéologique, consigne, au milieu du XIXe
Exil des prêtres réfractaires
siècle, dans L’histoire des évêques de Béziers : “Un registre ayant été ouvert à cet effet à l’hôtel de ville, M. Belpel, promoteur de l’évêché, se présenta pour remettre la déclaration de l’évêque ; le corps municipal refusa de la recevoir, et décida que le sieur de Nicolaï (NDLR : l’évêque de Béziers) serait tenu de se rendre dans le greffe de la municipalité, à l’effet de transcrire lui-même sa déclaration sur le registre. Au refus de l’évêque sur ce point, se joignit peu après celui que firent les curés de Saint-Nazaire, de la Madeleine et de Saint-Aphrodise.”
À partir de l’été 1792, les réfractaires doivent s’exiler. Monseigneur de Nicolaï est parti en Italie et remplacé par Dominique Pouderous, élu. Il se dit que sur son passage dans les rues de Béziers, des habitants imitent le chant du coq “caracaca” en référence à l’épisode de la trahison du Christ par Saint-Pierre au jardin des Oliviers. Mais selon Jean Sagnes : “Le clergé constitutionnel, bien que minoritaire à Béziers, est bien accepté par la population. Si le nouvel évêque, Mgr Pouderous, essuie quelques quolibets de la part de certains fidèles, il est acclamé par la Société des amis de la constitution à laquelle s’est joint “un peuple immense de tout sexe”.”
Le culte public est rétabli
Au moment de la Terreur, le ton change et le 31 juillet 1794, un arrêté déclare : “Tous les ci-devant prêtres qui n’avaient point de fonctions publiques seraient tenus de se rendre dans leurs communes respectives et dans le sein de leurs familles sous peine d’être déclarés suspects et traités comme tels.” Antonin Soucaille précise que Dominique Pouderous, “ancien évêque constitutionnel de l’Hérault, pria la municipalité de lui laisser continuer sa résidence” à Béziers. Mais il a reçu l’ordre de “se conformer à l’arrêté des représentants du peuple” et a dû s’établir à Villeneuve-lès-Béziers.
Il a fallu attendre la mort de Robespierre pour qu’une nouvelle loi de la Convention thermidorienne “permît l’exercice privé du culte sous surveillance des autorités constituées”. Sur Béziers, le Conseil général accepte la demande de pétitionnaires qui veulent célébrer des cérémonies dans Saint-Aphrodise, la Madeleine, Saint-Jacques et Saint-Nazaire. À charge pour eux, de payer les réparations.
Le culte public est rétabli en avril 1798. Mais en 1802, nouveau coup dur pour la ville et les catholiques, Béziers perd l’évêché au profit de Montpellier.
À lire demain :
Dès le milieu du XIXe siècle, l’anticléricalisme s’installe à Béziers. L’évêque envoie des oblats en mission. Parallèlement, l’économie et la culture se développent.
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Religion à Béziers : l’anticléricalisme s’installe au milieu du XIXe (4/4)

Le Pic s’exile à Figueras en Espagne entre 1907 et 1919.
(Midi Libre – Pierre Saliba)
16.11.2014 – Malgré les efforts de l’Église pour retrouver son influence post-révolutionnaire, les Biterrois se montrent méfiants et même hostiles à la religion jusqu’à l’Union sacrée de 1914.
Depuis le début de la Restauration (NDLR : Règnes de Louis XVIII et Charles X entre 1814 et 1830), l’Église avait fait un effort important pour retrouver son influence idéologique d’avant 1789, écrit Jean Sagnes dans Histoire de Béziers aux Éditions Privat. Et cela passe par l’enseignement. L’abbé Martin, curé de Saint-Aphrodise, fait venir les Frères des écoles de la doctrine chrétienne vers 1820. Ils ouvrent un établissement qui prend le nom de Pensionnat de l’Immaculée Conception (Pic) une dizaine d’années plus tard.
Mais les Biterrois semblent rétifs à inscrire leurs enfants dans les écoles qui sont “entre les mains de l’Église” précise l’historien. Cette suspicion se poursuit et “les jeunes élites sociales fréquentent le collège municipal” malgré l’ouverture de la Trinité pour les garçons et le cours pour les filles des religieuses du Sacré-Cœur-de-Marie.
Béziers l’anticléricale
En septembre 1870, le maire républicain et franc-maçon Ernest Perréal annonce la destitution de l’Empereur et la proclamation de la IIIe République. Une de ses premières actions est de réhabiliter André Cadelard, artisan décapité sur la place de la Citadelle, avec Laurent, pour avoir participé aux manifestations d’opposition au coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte en 1851.
L’Église catholique est soupçonnée d’avoir soutenu le pouvoir impérial et d’être favorable au rétablissement de la royauté. En janvier 1871, comme l’a relevé Roger Guy dans les archives, le conseil municipal déclare : “L’enseignement laïque est seul capable de former des citoyens libres, instruits, indépendants, défenseurs de la République (…) L’aide aux écoles congréganistes est supprimée et l’enseignement laïque sera substitué à l’enseignement congréganiste dans les écoles appartenant à la ville et entretenues au moyen des deniers publics (…) Les frères des écoles chrétiennes seront remplacées par des instituteurs laïques, auxquels seront livrés les bâtiments scolaires appartenant à la commune et occupés par les frères.”
L’évèque envoie des oblats en mission à Béziers
Les rapports entre les deux parties vont aller en s’envenimant jusqu’à la loi de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905. En 1880, les Franciscains et les Carmes sont expulsés de Béziers, ce qui amènera Monseigneur de Cabrières, évêque de Montpellier, à excommunier le préfet de l’Hérault Henri Fresne. Selon Jean Sagnes : “Béziers est d’ailleurs pour l’évêque une terre de mission. En 1886, vingt-deux oblats sont envoyés dans la ville ! Mais vingt-cinq ans plus tard, en 1911, la pratique pascale n’est que de 23,2 % contre 32,3 % dans le département. Encore cette pratique touche-t-elle surtout les classes aisées et davantage les femmes – qui ne votent pas – que les hommes.”
En 1881, la municipalité d’Étienne Cazals décide de démolir la colonne de l’Immaculée Conception de la place Saint-Félix – actuelle Pierre-Sémard – malgré l’opposition du curé de la Madeleine. Toujours dans la même veine anticléricale, les monuments et symboles religieux situés hors des lieux de culte sont supprimés et une soixantaine de rues de Béziers sont débaptisées. Elles recevront les noms de généraux de la Révolution, de leaders républicains, de savants et d’écrivains de l’époque des Lumières. La loi du 8 juillet 1904, qui interdit l’enseignement aux congrégations, oblige le Pic à s’exiler à Figueras en Espagne jusqu’en 1919.
Domination du parti radical
Au niveau politique, c’est le mouvement radical puis le parti qui domine cette période. Jean Sagnes souligne : “La force de ce radicalisme est de maintenir unis pendant longtemps un courant républicain bourgeois et un courant républicain populaire faits d’anticléricalisme, d’attachement à la laïcité et d’aspirations égalitaires plus ou moins diffuses.” Il s’appuie sur la franc-maçonnerie qui est présente depuis longtemps sur Béziers. La loge “Les Amis choisis” compte, notamment dans ses rangs, plusieurs maires, le député Lafferre et le père de Jean Moulin, Antoine.
Ce dernier, président de la Ligue des droits de l’Homme, conseiller général radical et fondateur de la Société d’éducation populaire, lance en 1884 une souscription pour ériger un monument en l’honneur de Casimir Péret. Ce maire républicain avait été lui aussi victime de la répression sanglante qui avait suivi le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte. C’est le sculpteur Antonin Injalbert, ami d’Antoine Moulin qui réalise l’œuvre.
La belle époque
C’est également sous cette IIIe République que Béziers connaît son âge d’or, sa Belle époque. La prospérité viticole, et de son industrie dérivée, entraîne le développement économique. L’arrivée du chemin de fer, l’accroissement démographique, l’expansion urbaine, les travaux haussmannien du maire Alphonse Mas dans le centre historique, la création du Plateau des Poètes… sont autant de facteurs qui participent à cette dynamique. La culture et les loisirs profitent de cette aubaine. Les Allées deviennent un lieu de rendez-vous incontournable pour la bonne société. L’écrivain Colette surnomme la ville “Apéritivopolis”.
Les habitants se régalent des concerts de la Lyre biterroise, des spectacles donnés au théâtre communal, aux Variétés, à la salle Berlioz… et bien sûr aux arènes avec les opéras lyriques de Camille Saint-Saëns ou Gabriel Fauré montés par le mécène Fernand Castelbon-de-Beauxhostes. Les Beaux-arts et la littérature ne sont pas en reste. Même l’Église, malgré le Groupe de défense et de vigilance républicaines, avec la construction de Saint-Jude (1873-74) au Faubourg et de l’Immaculée Conception (1896), boulevard de Genève. Mais elle ne retrouvera pas sa puissance d’antan, même si la déclaration de guerre en 1914, marque la fin de l’anticléricalisme au nom de l’Union sacrée.
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Source :
http://www.midilibre.fr – Emmanuelle Boillot 29.10.2014 / 30.10.2014 / 31.10.2014 / 16.11.2014