
Adresse: Domaine Petit – Chemin rural 41 – 34500 Béziers
Téléphone : 06 84 04 73 70
“Ce musée est un hommage à tous ces gens qui ont travaillé dur, innové, respecté la terre et à ceux qui y triment encore.”
Le musée voué aux métiers de la vigne est inauguré samedi 26 mai 2018, au Domaine Petit.
L’enjambeur trône au beau milieu du hangar. Un golgoth de ferraille dans son jus de début du siècle dernier. Si ancien que ses chenilles ne se souviennent même plus avoir labouré des décennies de vignoble.Il finit sa rude carrière chez Martial Sans, à Béziers.
Le musée atypique, une maison de retraite pour les vieux de la vieille, les premiers tracteurs de l’histoire de la viticulture et tout le materiel de nos ancêtres, de la culture à la mise en bouteille.

Dans le cour, un Caterpillar attend qu’on lui dégrippe le moteur. Car chez Martial Sans, si les engins sont définitivement rangés des rases de vigne, ils n’en démarrent pas moins au premier tour de manivelle. “Ces tracteurs étaient réservés aux riches vignerons. Les autres travaillent à la pioche et au cheval”, raconte le collectionneur.
En 1992, il rachète la propriété. Son père Robert y était cadre. Joseh, le grand-père, régisseur et Gaston, l’autre aîeul, y labourait à cheval, avec ces godillots posés juste là, parmi les sabots à lacets de 1800 et autres blouses de paysan, serpettes, ustensils de cuisine, plaques émaillées de La Littorale à Béziers ou réclame des engrais Grappin. Aujourd’huile caveau de vente est devenu l’intérieur domsestique d’une famille de l’époque. “J’ai toujours récupéré du matériel et des tracteurs anciens que j’ai stockés pendant longtemps.”



Des ennuis de santé l’obligent à cesser son activité. Il conserve les bâtiments et cède ses terres à de jeunes vignerons et à une céréalière, des cultures à 80% en bio. Mais la passion de la vigne ne lâche pas son homme comme ça.
Pendant trois ans, il restaure ses bébés, une quinzaine. Son chouchou est sorti en 1935 des usines Fouga de Béziers, aujourd’hui siège de la Cameron. “En état de marche eet rarissime. Le seul sur le sol français équipé de son volant. “Le phénomène vient de Toulouse, comme la pompe à vin de 1914, fabriquée à Cette (Sète), premier prix des objets anciens, au concours agricole. Ce Georges Vidal dans les années 1930, est équipée d’une double boîte à vitesse. “Pour que chaque chenille soit autonome”, explique Martial.

Il a aussi sauvé du cimétière des éléphants un Cletract ou Cleverland tractor compagny de 1920, originaire de l’Ohio aux États-Unis. Trois ans de restauration, trois exemplaires sur le sol français. D’ailleurs, toutes ses merveilles comptent leurs survivants sur les doigts de deux mains. Le musée réserve aussi leurs coins aux métiers satellites du vigneron, maréchal-ferrant, maçon, menuisier, oenologue, avec boucheuse et alambic à distiller l’absinthe.
En 2019, Martial sera invité à l’avant-première du feuilleton “Le songe de Naurouze”, à Toulouse. Bernard Lecocq y campe Pierre-Paul Riquet. Le régisseur du film a puisé au domaine les outils et engins du tournage, en avril dernier. Pas peu fier, Martial, de cette nouvelle carrière.
Elle sort de l’oubli un travail âpre, parfois ingrat. “Ce musée est un hommage à tous ces gens qui ont travaillé dur, innové, respecté la terre et à ceux qui y triment encore.”


Un peu d’histoire
L’histoire de la révolte des vignerons du Languedoc

La “révolte des gueux du midi” bouleverse la région en 1907, quand les vignerons du Languedoc se révoltent contre une règlementation trop laxiste faisant baisser le cours du vin. A la tête de ce mouvement durement réprimé se trouve Marcelin Albert, vigneron et directeur d’une troupe de théâtre qui s’est impliqué dès 1900 dans la défense des vins naturels contre les vins “chaptalisés” (c’est-à-dire qu’on leur ajoute du sucre pour augmenter le degré d’alcool), et qui, échappant de justesse à la police, s’enfuit à Paris où il obtient une audience avec Clémenceau.
Celui-ci s’engage à réprimer la fraude si Albert consent à calmer le mouvement, ce qu’il accepte ; Clémenceau lui donne alors de quoi payer son billet de retour et raconte cette histoire à la presse qui s’en délecte et fait passer Marcelin Albert de la figure du sauveur à celle du vendu. Une loi anti-fraude est promulguée quelques jours plus tard, mais Marcelin Albert, devenu indésirable, part vivre en Algérie où il finit ses jours. Il est aujourd’hui considéré comme un héros local et une rue de Béziers porte son nom.
Cette révolte est marquée par la mutinerie du 17e régiment d’infanterie, basé à Agde, et qui rejoint Béziers à pied après une répression meurtrière pour soutenir les manifestants. C’est à la suite de cet événement que les conscrits cesseront d’effectuer leur service militaire près de chez eux.
Trois à quatre litres de vin par jour

Béziers était, au tournant du XXème siècle, le cœur d’une région viticole prospère dont la production massive a abreuvé une large partie de la France. Autoproclamée alors “capitale mondiale du vin”, la ville peine aujourd’hui à se relever des bouleversements qu’a connu sa consommation à partir des années 1950. Retour sur une épopée viticole.
Ici, dans la région naturelle du Biterrois, autour de Béziers dans l’Hérault, la vigne a, avec les cyprès et les oliviers, façonné les paysages de la région. Elle a aussi déterminé son histoire, pour le meilleur et pour le pire.
Depuis les années 1850, le vrac, permis par des cépages à grosses grappes et à énormes rendements, était pourtant la forme majoritaire de diffusion du vin du Languedoc, un vin léger, médiocre, nutritif produit en masse.“Le mot ‘vin’ n’a pas la même consonance à l’époque”, rappelle Philippe Catusse, sommelier et propriétaire de la cave Le Chameau ivre à Béziers.
On le considère alors comme un simple aliment, et sa consommation, soutenue par les mineurs et les ouvriers, dont le nombre explose avec la révolution industrielle, peut atteindre trois à quatre litres par jour. Les travailleurs “de force”, aux métiers physiques, touchent même une partie de leur salaire en vin. Si l’on ajoute à cela les découvertes de Pasteur autour de la contamination de l’eau, boire du vin relève alors quasiment de la santé publique!
A cette demande croissante et à ces cépages qui “pissent le vin” s’ajoutent une main d’œuvre tellement bon marché que la production s’envole. Les viticulteurs prospèrent et le Biterrois se voit parsemé de “châteaux pinardiers”, ces demeures d’un goût souvent douteux, dont certaines ne seront jamais habitées, construites par des bourgeois soucieux d’afficher leur réussite économique fulgurante. Plus de 80% des emplois de la région sont alors en lien avec l’activité viticole.
Béziers dégringole

La Première Guerre Mondiale offre un sursis et la production s’écoule : le “Père Pinard”, largement produit en Languedoc-Roussillon, contribue au moral des troupes. Mais de nouvelles crises de surproduction se succèdent ensuite jusqu’à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, qui marque le début de la lutte gouvernementale contre la consommation de vin, ce qui n’augure pas grand-chose de bon pour une région dont la production viticole ne tire sa rentabilité que des volumes.
Ainsi, en 1956, le vin est interdit dans les cantines scolaires (seulement pour les enfants de moins de quatorze ans, rassurez-vous), et en 1961, catastrophe : l’alcool au travail est réprimé. Béziers entame alors un lent déclin. Le secteur n’embauche plus, les propriétaires sont ruinés et les châteaux pinardiers, qu’on avait continué à construire jusqu’à la fin de la Première Guerre Mondiale, se délabrent faute d’entretien.
Pour sortir de ce marasme, le Biterrois tente de se recentrer vers la qualité. Aidés par l’Etat qui propose des subventions pour les restructurations de vignoble, les domaines passent à la mécanisation du désherbage (privilégié aux méthodes chimiques), adoptent de nouvelles techniques de vinification et arrachent de nombreux pieds. A ce vaste chantier d’amélioration de la qualité s’ajoute, à partir des années 1980, un important travail d’image (communication, mise en bouteille…), qui finit par être gratifié par la création en 1985 d’une appellation d’origine contrôlée “coteaux-du-Languedoc”, renommée “Languedoc” en 2007.

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/www.midilibre.fr – ANNICK KOSCIELNIAK
http://www.beziers-mediterranee.com – Sara Lombardi