Histoire

L’histoire de Béziers est intimement liée à celles de ses différentes enceintes. Au fil des siècles, ses remparts ont été détruits, déplacés, reconstruits au gré d’événements soit guerriers, soit liés aux différentes révoltes des Biterrois face au pouvoir central. De l’enceinte romaine, démolie au VIIIe siècle par Charles Martel, il ne reste que quelques vestiges, notamment à Canterelles et sur les façades nord de la Madeleine.

Remarquable … on a retrouvé des amphores d’époque romaine portant l’inscription “Amineum beterrense vetus“, vin vieux de Béziers ! Sûr qu’ils aimaient le vin alors !

Les remparts médiévaux ont été agrandis en plusieurs étapes avant 1188 et sous la vicomté des Trencavel jusqu’en 1209. À cette époque, ils englobaient Saint-Jacques, La Citadelle, les bourgs de Maureilhan et de Nissan (quartier de la rue du 4-Septembre), Saint-Aphrodise, le Capnau, La Madeleine et Saint-Nazaire.

Après le sac de Béziers lors de la croisade des Albigeois, le château vicomtal de la Citadelle, qui servait de fortification au sud est détruit. À la place, Louis IX ordonne que le terrain soit donné aux Franciscains, qui vont y construire un couvent. L’édifice sera abattu et rebâti plusieurs fois, avant qu’Henri de Montmorency, en 1585, décide d’ériger une nouvelle citadelle. Elle sera démolie par Louis XIII, en 1632, pour punir Béziers de la révolte d’Henri II de Montmorency. Autour de ces bâtiments, les murailles vont, elles aussi, être renforcées, cassées… Jusque dans la première moitié du XIXe siècle.

C’est en 1821, que Charles X décide que Béziers n’est plus une place forte et il donne l’autorisation de raser les remparts sur les flancs sud, est et nord de la ville. À l’ouest, ils seront en grande partie préservés, le relief n’incitant à la démolition. Il en existe encore aujourd’hui quelque 970 mètres. C’est cette partie que la municipalité a décidé de remettre en valeur en nettoyant toute la végétation qui l’a envahi. “Nous voulons les remettre en valeur, précise le maire Robert Ménard, rien n’avait été fait depuis des décennies. Nous allons également les mettre en lumière.” L’inauguration devrait avoir lieu avant la Feria.

Au-delà des remparts, la municipalité, dans une deuxième étape, veut valoriser le patrimoine bâti de l’acropole biterroise. Ce sera certainement avec l’aide du privé. La politique culturelle de la Ville, s’oriente vers le patrimoine : “Il faut défendre notre spécificité.

19ième siècle

A Béziers, comme dans beaucoup de villes, compte tenu de l’urbanisation croissante,
l’urbanisme du XIXe siècle entraîne de nombreux changements qui s’expriment par le
développement de l’espace bâti, le percement de voies à travers le tissu urbain ancien, la construction de grands bâtiments.

La prospérité viticole et économique qui dégage des capitaux et les rend disponibles pour l’investissement immobilier, la croissance démographique qui multiplie les besoins de logements, les nécessités de la circulation, le rôle structurant des infrastructures et en particulier des infrastructures ferroviaires, la prise en compte du progrès concourent au développement et à la modernisation de la ville et laissent percer quelques mutations majeures dans l’occupation de l’espace.

La démolition des remparts au début du XIXe siècle (1827) avait déjà marqué l’ouverture d’une cité fermée et repliée sur elle-même. Le nivellement de la place de la Citadelle, puis l’aménagement des Allées avaient donné une première grande extension à la ville historique.

En même temps, la ville s’étend pour loger une population nouvelle. Le monde ouvrier se loge dans les vieux quartiers ou à la périphérie. Comme les inondations rendent difficile l’occupation de la plaine de l’Orb, de nouveaux quartiers apparaissent autour des infrastructures ferroviaires : gare du Midi et gare du Nord, de points structurants tels la caserne de cavalerie et les abattoirs et fait nouveau au delà des allées, le long de l’avenue de Bessan (avenue Saint-Saëns) et de la route de Montpellier (avenue Georges Clémenceau). Ainsi s’esquisse l’axe des Allées regroupant à l’Ouest le centre ancien et à l’Est la construction de quartiers récents appelés à des extensions alvéolaires.

Du point de vue édilitaire, il semble alors qu’il y ait une hésitation entre l’aménagement du centre et un aménagement extérieur, périphérique esquissé par la constitution du péri centre.

En même temps, un certain nombre de fonctions de la ville historique tendent à se déplacer ou à se dilater dans l’espace urbain. Ce sont d’abord les Allées qui s’enrichissent de plusieurs fonctions : fonction de loisirs et de divertissement avec le kiosque à musique de la Citadelle et le théâtre, prolifération des cafés, espace de déambulation, fonction résidentielle et d’investissement pour la bourgeoisie, fonction économique avec le marché du vin, l’installation des banques, des sociétés industrielles ou liées à la viticulture, fonction commerciale avec les Nouvelles Galeries.

Les nouvelles artères, s’ouvrent aux activités tertiaires et commerciales : ameublement, vêtements, chaussures, bijouterie, lingerie pour la rue de la République, activités plus artisanales pour la rue Nationale. Dans les nouveaux quartiers s’installent des négociants en vins, des commissionnaires et de entrepôts autour de la gare du Midi et de nombreux artisans autour de la gare du Nord.

La prospérité viticole et l’explosion démographique qu’elle engendre conduisent la ville à rechercher un horizon plus lointain, là où elle trouvera de la place. C’est ainsi qu’en 1896, l’initiative privée conduit à la construction des Arènes du plateau de Valras. En 1912, s’ébauche l’hôpital Perréal qui ne sera définitivement achevé qu’en 1932. Toujours en 1912, à l’initiative de la ville et à celle privée de Louis Viennet s’élève le temple du rugby, le stade de Sauclières devenu aujourd’hui un lieu de mémoire du rugby.

Même recherche d’espaces à horizons plus lointains avec deux quartiers : les Allées (qui se trouvent alors en périphérie) et la gare qui se situe à des horizons plus lointains. En ce qui concerne les Allées entre 1860 et 1875 un acte municipal organise de façon rationnelle la Promenade en programmant le théâtre, la statue de Pierre Paul Riquet et le Plateau des Poètes conçu alors comme une annexe des Allées.

La gare est alors un lieu animé fréquenté par les voyageurs se déplaçant en train sur des distances plus longues et en un temps plus court. Le quartier acquiert une fonction commerciale avec les magasins généraux et l’expédition de vin, les docks méridionaux, la gare de marchandises. Et une fonction industrielle avec les activités qui s’implantent près de la gare : l’usine à gaz, Fouga en 1920. Il acquiert une fonction de peuplement autour de l’avenue Gambetta. Ainsi à partir des Allées se constitue, en périphérie, ce que nous appelons aujourd’hui le péri centre et qui nous semble actuellement le centre ville.

Signe des temps et de la prospérité du Biterrois, la fin du XIXe siècle voit surgir dans le
Biterrois et dans la proche campagne de Béziers un certain nombre de châteaux construits en faisant appel aux plus grands architectes de l’époque comme le bordelais Garros. Ce sont les châteaux pinardiers, jugés longtemps sévèrement mais qui retrouvent grâce de nos jours. Certains de ces châteaux qui se trouvent situés sur les avenues Saint-Saëns, Wilson ou le Boulevard de Genève se sont retrouvés cernés par l’urbanisation.

Béziers … c’est encore une ville de mixité sociale : s’il existe des quartiers populaires tels le Capnau et Canterelles, d’autres comme la rue de la Madeleine, la rue du 4 septembre et les abords de la cathédrale sont marqués par un mélange social différencié seulement par une stratification verticale.

20ième siècle

A partir de 1898 et jusqu’en 1911, presque sans interruption, Béziers va se projeter dans une aventure lyrique qui lui apporte une formidable réputation de ville de spectacles et de plaisirs. Les journaux célèbrent cette aventure en parlant de « Bayreuth français ». Les artistes les plus prestigieux de Paris ou de la Scala de Milan se produisent à Béziers, les mélomanes venus de la capitale et de toute la France affluent. Béziers devient une ville à la mode où il est de bon ton de se montrer. Toute la population biterroise, de la ville et des campagnes, des beaux quartiers et des quartiers populaires se presse dans les arènes.

Alors que l’âge d’or de Béziers favorise un développement économique vertigineux, une
grande prospérité, un goût de la fête et de la musique qui permirent l’aventure lyrique du mécène Castelbon de Beauxhostes, Gustave Fayet, né à Béziers le 20 mai 1865 dans une famille de propriétaires viticoles, devient l’un des premiers collectionneurs des œuvres de Gauguin et son mécène qui soutient par ses mandats un Gauguin malade et désespéré au bout du monde. Il acquiert et possède alors des œuvres de Degas, Manet, Monet, Pissarro et surtout Odilon Redon. Après, il enrichit sa collection des œuvres de Cézane, Matisse, Montfreid, Puvis de Chavannes, Fantin-Latour, Sisley, Picasso, Van Gogh, … .

Devenu Conservateur au musée de Béziers, dès 1901, il organise dans sa ville natale une exposition qui rassemble les grands exclus de l’époque : Cézanne, Gauguin, Redon, Van Gogh et Picasso. Les deux premières rétrospectives consacrées à l’exilé des Marquises, d’abord à Weimar, en 1905, puis à Paris, en 1906, et qui vont bouleverser l’histoire de la peinture, n’auraient pu se tenir sans lui.

Pour une fois dans l’histoire de l’art, grâce à Castelbon de Beauxhostes pour le spectacle lyrique et à Gustave Fayet pour la peinture, Béziers et la province précèdent Paris.

Le vin

Au milieu du XIXe siècle, les quatre départements français qui bordent le golfe du Lion se sont spécialisés dans la viticulture. Gard, Hérault, Aude et Pyrénées-Orientales ont su transformer leurs plaines arides en superbes vignobles.

Mais de 1900 à 1906, la production de vin du Languedoc grimpe de 16 à 21 millions d’hectolitres. La surproduction se solde par une mévente et une chute brutale des prix. Ceux-ci sont divisés par deux ou par trois en quelques années. C’est la ruine pour de nombreux Languedociens : petits viticulteurs qui n’arrivent pas à rembourser leurs dettes mais aussi négociants dont le sort est suspendu à celui de la viticulture.

Les Languedociens réclament pour le moins l’abrogation de la loi de 1903 sur la « chaptalisation » et une surtaxe sur le sucre pour décourager les importations. Mais le Président du Conseil, l’inflexible Georges Clemenceau, ne veut rien entendre.

Du drame à la farce

1907. Ce siècle ne présage rien de bon ! Passons sur les intempéries catastrophiques qui se sont abattues sur le biterrois. Le vignoble sort du marasme phylloxéra. Il vient d’être refait. Mais on a trop planté et le marché national ne peut absorber toute la production de vin. Les cours s’effondrent. Dans les caves, on ouvre les robinets et le vin est déversé dans les rues. A Vieussan, un vigneron, ne pouvant accepter de jeter le fruit de son travail a utilisé son vin en guise d’eau pour construire sa maison. Il faut de la place pour entrer la nouvelle vendange.

On accuse le gouvernement de protéger la ‘’ pharlabique’’ qui consiste à fabriquer à moindre coût des vins par la chimie. La solution serait de distiller et de diminuer l’arrivée massive des alcools de betteraves. Personne ne veut entendre parler d’arrachage. Le drapeau rouge de la colère flotte sur nos terres. Plus de travail pour les ouvriers – chômage sans indemnité. 

 A la fin du XIXe siècle et au début du XXe, l’armée avait malheureusement trop souvent un rôle à jouer lors des conflits sociaux. En effet, il n’était pas rare que les gouvernements de la IIIe République fassent envoyer la troupe, parfois même avant que manifestations et grèves ne débutent, afin de réprimer les mouvements populaires.

En effet, une grave crise provoquée par la surproduction et la mévente du vin touche le milieu viticole. Dans cette région où une grande partie de la population vit de ce produit, il s’agit d’un véritable drame. Cette crise, tout le monde la ressent, les petits et moyens producteurs comme les ouvriers agricoles et les journaliers.

Face à l’ampleur de la mobilisation et aux menaces de démission et de grève de l’impôt proférées par certains maires de la région, le gouvernement juge le moment opportun pour réagir. Après avoir tenté de temporiser pendant plusieurs semaines, Clemenceau fait renforcer le nombre de soldats sur le terrain et décide de faire arrêter les leaders du mouvement.

Des manifestations pacifiques se terminaient parfois en bain de sang. Ce fut par exemple le cas à Fourmies en 1891 (neuf morts), à Paris en 1906 (deux morts) ou encore à Draveil-Vigneux en 1908 (six morts).

Ainsi, le 19 juin 1907, plusieurs membres du Comité de défense viticole sont faits prisonniers. Cet événement déclenche des manifestations de colère. Des incidents éclatent dans de nombreuses villes, notamment à Narbonne.

A l’époque, le Midi est confronté à l’un des plus grands mouvements sociaux qu’il ait connu. Comme le drame qui survient à Narbonne, le 19 juin 1907, où les soldats tirent sur la foule, faisant deux morts dont un adolescent. C’est là que le 20 juin, « sans sommation audible », un régiment d’infanterie chargé du maintien de l’ordre tir sur les manifestants et fait cinq morts, qui va être l’un des déclencheurs de la mutinerie du 17° régiment d’infanterie de Béziers en 1907.

À Agde, petite ville à l’embouchure de l’Hérault, 600 soldats du 17e régiment d’infanterie prennent connaissance de la tuerie de Narbonne. Ils se mutinent et gagnent Béziers où ils sont accueillis par une population en liesse.

“Le 20 juin, le soir nous vîmes des télégrammes sur lesquels il y avait que la troupe tirait à Narbonne et à Béziers5,et que nombreux étaient les morts et les blessés ; tout notre sang se révolta, penser que des soldats comme nous avaient le courage de tirer sur nos parents, sur nos amis, sur un peuple enfin qui ne demandait que son droit, c’était trop fort.”

Ces mots, ce sont ceux d’Edmond Moulières, soldat membre du 17° régiment d’infanterie de Béziers, qui au soir de la tuerie de Narbonne se mutina avec plus de 500 de ses camarades. C’est en effet après avoir appris la tragique nouvelle venue de la sous-préfecture de l’Aude, qu’ils décidèrent de quitter Agde, leur lieu de cantonnement, avec armes et cartouches, pour retourner à Béziers, leur ville qu’ils avaient quitté deux jours auparavant.

Crosses en l’air, c’est à pied qu’ils firent les 20 kilomètres séparant les deux villes. Ne se laissant pas intimidés, ils opposèrent une résistance pacifique aux troupes positionnées sur leur passage afin de leur faire barrage. Le 21 juin, à 5 heures du matin, toujours crosses en l’air, ils passaient les portes de Béziers et allaient se positionner le long des allées du centre-ville dans un campement de fortune.

Tout au long de la journée, ils reçurent l’appui de la population biterroise parmi laquelle se trouvaient notamment leur famille, leurs amis ou encore leurs collègues, venus leur apporter de la nourriture ou tout simplement un soutien moral. Malgré la pression des importantes forces militaires déployées dans la ville, les mutins, solidaires et fort du soutien du peuple, résistèrent sans qu’aucune goute de sang n’ait à couler.

C’est finalement dans la soirée, que les 500 soldats, se rendant dans leur caserne pour y déposer leurs armes, décidèrent de leur propre chef, de stopper leur mouvement. Pour la justice militaire, se mutiner est un fait extrêmement grave. Comment donc expliquer qu’en cette veille d’été 1907, un régiment presque entier est commis un tel acte ?

Nous sommes ceux qui ne veulent pas tirer sur le peuple !

Plusieurs raisons concourent à expliquer cette mutinerie. La principale réside dans le fait, que ces 500 hommes refusaient d’avoir à se comporter comme les soldats qui avaient tirés à travers la foule à Narbonne. «  Les gars du 17° n’avaient même pas reçu cet ordre de tirer. Ils se levaient pour ne pas le recevoir (…). La question de principe était bien posée : ne pas tirer quand on pense que c’est injuste7 »

Ils savaient qu’un jour ou l’autre, ils auraient à se retrouver dans une telle situation, armés, face une foule faite d’hommes et de femmes légitimement en colère et que ce jour venu, il leur faudrait avoir à commettre des actes qu’ils pourraient regretter à jamais. Alors, plutôt que d’attendre le pire, ils prirent les devants et se révoltèrent. « Nous aurons du moins montré au monde qu’il y a encore des soldats qui ne sont pas les assassins de la classe ouvrière8 ».

Au-delà du refus d’avoir à tirer sur la population, c’est la peur qui animait les mutins du 17°. En effet, les événements de Narbonne venaient de démontrer que l’armée n’hésitait désormais plus à avoir recours à la violence pour réprimer le mouvement social. Ainsi, en apprenant la mort de cinq  manifestants, dont une jeune fille de 20 ans, c’est à leurs proches que les soldats du 17° pensèrent. Leur première réaction fut donc de se rendre le plus rapidement possible à Béziers.  

Si le 20 juin, ces soldats se trouvaient à Agde et non à Béziers, leur lieu de casernement habituel, ce n’était pas un hasard. En effet, à l’époque le recrutement des soldats était essentiellement local. Ainsi, 80% des membres du 17° régiment de Béziers venaient de la région biterroise. Ce recrutement parmi les hommes du pays, provoquait une véritable « symbiose9 » entre la cité et son régiment.

Face à la tournure prise par la révolte viticole, le gouvernement ne voulait cependant pas s’appuyer sur ces régiments au recrutement local par peur de fraternisation entre les soldats et les civils. Ainsi, les troupes étaient éloignées de leur lieu de casernement. C’est pour cela que dans la nuit du 18 au 19 juin,  le 17° fut envoyé à Agde.

Autant que leur famille, c’est par ailleurs leurs compagnons d’infortune que les mutins du 17° voulaient protéger. En effet, une grande partie de ces soldats exerçaient des professions liées directement ou indirectement à la viticulture (60% dans l’agriculture-viticulture). Le désarroi et la colère des manifestants étaient donc autant les leurs. C’est ainsi qu’ils refusèrent d’avoir à tirer sur « leurs frères de misère10 ».  « Les prolétaires ne veulent pas être (…) les fusilleurs des prolétaires11 ».

Le dimanche 23 juin 1907, Marcelin Albert se présente de son propre chef au ministère de l’Intérieur, place Beauvau, et demande à rencontrer le Président du Conseil.

Georges Clemenceau le reçoit dans son bureau en tête à tête. Il lui fait la morale avant de lui remettre un billet de 100 francs pour le train du retour. Le rebelle accepte mais promet de le rembourser.

Le Président du Conseil convoque aussitôt la presse et raconte à sa manière l’entrevue, prétendant que le cafetier a éclaté en sanglots et laissant entendre qu’il n’aurait pas toute sa tête.

Les notables de droite de Béziers inventent une fausse dépêche de Clémenceau qui promet le pardon aux mutins. La troupe réintègre la caserne mais en guise de pardon, Clémenceau enverra les mutins à Gafsa en Tunisie dans un bataillon disciplinaire. Quant à Marcelin Albert, il sera discrédité par Clémenceau, emprisonné et manque d’être lynché par les siens à sa sortie de prison. Il meurt dans la misère et l’oubli. A partir de ce moment là et jusqu’en 1914, tous les conscrits de la région feront leur service militaire dans les colonies.

Finalement, le gouvernement établit une surtaxe sur le sucre et réglemente sévèrement le négoce du vin, donnant ainsi raison aux manifestants.

Le Languedoc conserve le souvenir aigu de cette révolte anachronique et ne manque pas d’invoquer les mânes de Marcelin Albert chaque fois que la concurrence ou les règlements menacent son vin.

Les années de guerre 1914-1918

A la veille du déclenchement de la guerre, Béziers est une ville d’une seule activité, le vin. La viticulture en suscitant des investissements a fait sa prospérité, revenue assez rapidement après la crise de 1907.

La guerre réserve à Béziers son lot de souffrances et de deuils. La ville perd sur le front
français, à Verdun, sur la Somme, en Champagne, en Lorraine et en Belgique 1 272 de ses fils, des hommes jeunes qui y sacrifient leur vie. A ce lourd tribu en hommes s’ajoutent les souffrances et les privations chez les plus démunis, les décès civils et la mortalité de l’épidémie de la grippe en 1918 à laquelle la population, affaiblie, résiste mal.

La ville qui compte en 1914 entre 52 000 et 53 000 habitants connaît une explosion
démographique qui n’est pas due à la natalité naturelle mais à un apport extérieur et à
l’immigration dont celle venue d’Espagne qui s’avérera précieuse pendant la durée de la guerre.

C’est aussi une ville d’hégémonie et de sensibilité radicale qui n’échappe pas totalement à l’influence de Jean Jaurès, ni à celle de Louis Laferre (1861-1929) député radical-socialiste de Béziers, l’un des principaux leaders nationaux du parti républicain-radical et radical-socialiste qui s’était créé en 1901. Son Maire, Albert Signoret, est radical indépendant.

Entre les deux guerres

La période de l’entre-deux-guerres fut une période faste pour Béziers.

Contraste démographique d’abord. En France, dès 1871, des symptômes de faiblesse
démographique étaient perceptibles. Ayant perdu au cours de la guerre près de deux millions d’habitants, le pays ne comptait plus en 1921 que trente-neuf millions d’âmes, soit un million de plus qu’en 1866. En 1938, sa population atteignait quarante-deux millions d’habitants. Un faible gain, dû beaucoup plus à l’immigration étrangère massive.

A Béziers, au contraire, l’accroissement démographique est net. La ville compte 51 042 habitants en 1911 et 56 008 en 1921. L’accroissement est dû à un afflux d’immigrants, en grande partie étrangers, à telle enseigne que le nombre d’étrangers double dans la ville de 1911 à 1921. Durant l’entre-deux-guerres, la population progresse encore, en 1936, la ville compte 73 305 habitants. Cette progression, vive de 1921 à 1926, tend cependant au fil des années à s’essouffler.

C’’est la prospérité économique qui engendre cette poussée démographique. Cela s’explique par la structure de son économie centrée sur la seule activité du vin. Comme le vin et les alcools se vendent bien, surtout sur le marché national et peu encore à l’exportation, comme l’augmentation du prix du vin est supérieure à celle de l’inflation, comme de 1914 à 1925, le prix des vignes est multipliée par quatre, les viticulteurs épongent leurs dettes et les profits tirés de la viticulture rejaillissent sur le développement industriel et commercial. Et ce d’autant plus que l’industrie, fortement centrée sur la vigne, échappe en grande partie aux turbulences nationales que rencontre le secteur industriel. Cette augmentation du prix du vin ne s’explique pas seulement par le marché. Le lobby viticole, dirigé par Edouard Barthe, obtient un soutien constant de l’État.

Dès lors, avec une prospérité viticole durable, le commerce et l’industrie se trouvent à leur tour confortés : magasins d’alimentation à succursales comme la Ruche du Midi ou les Docks méridionaux, les établissements Gaillard, les industries traditionnelles nées de la vigne (distilleries, fabriques d’engrais, de matériel agricole, chimie de la vigne, etc.). De nouvelles entreprises, moins directement liées à la vigne voient le jour : la société de matériel viti-vinicole Léotard et Jaume, la société métallurgique Pidoux en 1919.

Les établissements Fouga créés 1920, à capitaux majoritairement biterrois, ont pour vocation la réparation de matériel ferroviaire roulant. Liés par contrat à la compagnie du Midi, ils connaissent une réussite immédiate et emploient deux ans plus tard 2 000 personnes. Leurs activités s’étendent et se diversifient : de la réparation du matériel ferroviaire et de la construction de wagons de marchandises et de wagons citernes, ils passent à la construction de carrosseries d’autocars. En 1936 ils orientent l’atelier de menuiserie d’Aire vers la construction aéronautique. Leur rayon d’action devient national : en 1937, les établissements Fouga passent des contrats avec la SNCF, à la fin des années trente, ils fabriquent pour l’armée des voitures pour l’intendance et des chenillettes. L’industrie biterroise travaille de plus en plus pour un large marché.

La bourgeoisie biterroise, vieilles familles, fortunes plus récentes, étrangers d’origine suisse ou italienne n’hésite pas à prendre des actions dans les entreprises qui se créent. Dès 1920, dans la société des basaltes de l’Hérault, en 1921 dans la Société anonyme pour la fabrication des agglomérés. Les Biterrois, rejoints par des Parisiens, des Marseillais participent aux augmentations de capitaux, notamment chez Fouga ou dans la Littorale. Ainsi s’amorce un changement de structure financière de l’économie biterroise qui lui permet, en dépit des faillites, de mieux résister aux renversements de la conjoncture.

Du point de vue financier, la prospérité générale et le développement du bassin économique rejaillissent sur la bonne santé de la succursale de la Banque de France de Béziers qui se situe à la 27e place, le même rang que Montpellier.

La prospérité et l’accroissement démographique qui l’accompagne, le besoin impérieux de main d’œuvre étrangère font naître une poussée réelle d’urbanisation. Après 1930, les horizons lointains, les péri centres, paraissent avoir gagné la partie. Malgré l’éternel dilemme entre le centre et la périphérie, la mairie en fait une ligne directrice de programmation de l’extension urbaine.

Toujours au centre, en 1932, les premiers HLM Saint-Vincent à la place de l’Hospice. En 1945, les démolitions qui suivent la Libération autour de la cathédrale et en avant du pont vieux. Lorsque la sous préfecture s’installe Place Suchon s’esquisse un espace regroupant caisse d’épargne et d’allocations familiales, lycée Paul Riquet, hôtel de police, central PTT.

La vie municipale

Les radicaux dominent la vie municipale. En 1924, l’industriel Émile Suchon est élu maire de Béziers et en 1932, le professeur Auguste Albertini, qui sera maintenu en fonctions en 1941 par décision du gouvernement, fonctions qu’il occupera jusqu’en 1944. En ce qui concerne, les élections législatives, l’hégémonie radicale est moins nette. En 1919, alors qu’on vote au scrutin de liste proportionnel, sont élus trois députés de droite, deux socialistes et deux radicaux. En 1924, le cartel des gauches enlève six sièges sur sept ; sont élus trois radicaux, deux socialistes et un républicain socialiste. Avec le retour au scrutin d’arrondissement en 1928, dans les deux circonscriptions auxquelles Béziers appartient, deux radicaux sont élus, en 1932, ce sont deux socialistes, en 1936, ce sont le maire radical Albertini et le socialiste Roucayrol qui sont élus.

Durant l’entre-deux-guerres, Béziers dispute au chef-lieu, Montpellier, la place de premier centre politique de l’Hérault. La cité est le siège social des partis de gauche dominants dans l’Hérault : du P.C.F. jusqu’en 1938, du parti socialiste de 1933 à la guerre, du parti radical à la fin des années trente. De plus, les principaux journaux d’opinion s’impriment à Béziers : La démocratie de l’Hérault de sensibilité radicale, L’aube socialiste, socialiste, Le travailleur du Languedoc, communiste. Les élus Biterrois et en particulier Edouard Barthe bénéficient d’une forte influence, aussi bien locale que nationale.

Cette hégémonie radicale et l’orientation générale des choix politiques des électeurs donnent aux municipalité successives une continuité d’orientation qui se révèle bénéfique pour le développement de Béziers. La ville et son territoire d’influence gagnent à être liés à un parti de gouvernement, à être représentés à l’échelon national par des hommes, députés, ministres influents. A cet égard, l’action de lobbying menée par Edouard Barthe, obtient un soutien constant de l’État afin de lutter contre la surproduction chronique : lutte contre la fraude, développement de la consommation, protection des vins français, distillation. Le statut de la viticulture, dont Barthe est l’inspirateur, en réduisant la surproduction par la taxe au rendement, par la limitation des plantations, par l’augmentation de la distillation, le blocage des récoltes et l’échelonnement des ventes permet à l’économie locale de surmonter la crise des années 1930.

La sensibilité radicale de Béziers a ses sources dans la sensibilité républicaine de la ville. Elle traduit l’état d’esprit commun à tous ceux qui revendiquent l’héritage de la Révolution français et aspirent à une politique de réforme conduisant à une démocratie politique et sociale fondée sur le suffrage universel et des réformes sociales. Une politique de réforme qui réaliserait pleinement la laïcité, la liberté et l’égalité mais qui n’entend pas rompre avec l’idéal révolutionnaire de la petite propriété. Il tire sa force à Béziers de l’unité qui s’y manifeste, au moins aux élections, entre le courant républicain bourgeois et un courant républicain populaire faite, comme on l’a vu, d’anticléricalisme, d’attachement à la laïcité et d’aspirations égalitaires.

Les grèves de 1936

A l’échelon national, l’échec de la politique de déflation et de la tentative d’équilibre
budgétaire du ministère P. Laval, vite impopulaire, en raison des misères engendrées assurent en 1936 la victoire électorale du Front populaire dont le programme économique prévoit des mesures destinées à ranimer la vie économique et à accroître le pouvoir d’achat. Lorsque le gouvernement Blum prend le pouvoir, le mécontentement populaire si longtemps comprimé se manifeste vigoureusement par des occupations d’usines, des grèves. A Béziers, aux élections de 1936, si les socialistes avec Roucayrol et les radicaux avec Albertini se partagent les deux circonscriptions, le Parti Communiste progresse nettement. Alors que le mouvement de grèves éclate en mai 1936, à Béziers, il ne commence que le 10 juin aux usines Fouga et s’étend à de nombreux secteurs : agriculture, bâtiment, commerce. Autotal, on enregistre trente-sept grèves et 7 800 grévistes .

La C.G.T. et le P.C. qui influencent beaucoup de ses militants jouent un rôle important dans leur déclenchement et leur déroulement, deux syndicalistes de la CGT y jouent un rôle important : Ricardo Sojat et Jean Domenech. Béziers se place alors très largement en tête du mouvement gréviste héraultais. Il en résultera, une progression forte de la syndicalisation qui passera de 1700 au début 1936 à 11 000 en 1937. La C.G.T. en sera la principale bénéficiaire mais le mouvement syndicaliste se diversifie avec la création de l’union locale de la C.F.T.C. confortée par l’apport de la Jeunesse Chrétienne Biterroise.

Les grèves se terminent dans la plupart des cas à Béziers par des augmentations de salaires significatives et par la signature de conventions collectives. Mais dans la ville le climat social demeure tendu en raison de la remise en cause de ces accords qui engendrent de nouvelles grèves en octobre 1936 aux Docks Méridionaux et en 1938 chez Fouga. Le dernier mouvement revendicatif le 30 novembre 1938 contre les décrets-lois Reynaud-Daladier, s’il rencontre avec 4 262 grévistes un réel succès à Béziers génère par contre une vive hostilité du gouvernement et de la presse et entraîne le licenciement de 162 salariés dont de très nombreux leaders syndicaux.

La seconde guerre mondiale

La mobilisation appelle des milliers de Biterrois sous les armes. Après la débâcle de l’armée française, l’armistice du 22 juin 1940 qui marque la fin de la Bataille de France est signé afin de mettre fin aux hostilités et d’établir les conditions de l’occupation par l’Allemagne La France est divisée en deux parties par une ligne de démarcation, la zone occupée qui est sous l’autorité allemande, et la zone dite « libre », qui demeurent sous l’autorité du nouveau gouvernement français. Béziers fait partie de la zone non occupée. Les rouages de Vichy se mettent en place. Le maire A.Albertini qui s’est rallié à Vichy est maintenu dans ses fonctions. La répression politique et sociale se met en place et s’exerce en direction des communistes, des francs-maçons dès l’été 1941 puis des juifs. Du fait de la ponction de main d’œuvre, l’activité se ralentit, la production de vin diminue de moitié. Le pouvoir d’achat des Biterrois enregistre une forte baise. Très vite, les problèmes de ravitaillement se révèlent préoccupants et constants. La population régresse du fait du non retour, de la baisse de la natalité, de l’arrêt de l’immigration.

A l’échelon national, le parti communiste interdit le 26 septembre 1939 se reconstitue dans la clandestinité, tandis qu’à Béziers les premiers mouvements d’opposition à Vichy se structurent et se regroupent au cours de l’année 1941 autour du mouvement Combat.

En juillet 1942, douze militants sont arrêtés. Le 11 novembre 1942, Béziers est occupé militairement par les troupes allemandes. Par réaction à cette occupation, la résistance entre dans une phase opérationnelle avec le Groupe franc Arnal qui dépend de Combat puis avec les groupes de Francs tireurs et partisans.

A partir de janvier 1944 et jusqu’à la Libération, les attentats, les sabotages contre les voies ferrées, les locomotives, les wagons, les pylônes électriques se multiplient. Ils sont organisés par le groupe Arnal, par l’action ouvrière de Fouga et par le groupe F.T.P. Grandilier de la S.N.C.F. Sur l’ordre général d’Alger, à la veille du débarquement des forces alliées en Provence, les sabotages de voies ferrées se multiplient tandis que des combats s’engagent entre Colombiers et Béziers.

La ville est libérée le 22 août 1944 et un comité provisoire de libération s’installe à l’hôtel de ville. Dans les jours qui suivent des arrestations de miliciens ou de collaborateurs sont opérées, des interdictions professionnelles de commerçants et des amendes sont prononcées. Une cour martiale procède à seize condamnations à mort, immédiatement exécutées, de même qu’à des peines de prisons. Quelques exécutions sommaires se produisent. Béziers n’échappe pas aux débordements qui se produisent un peu partout en France.

Il faut dire à la décharge de la ville que la cité n’a pas été exempte de souffrances. Le 6 juin au sud de Saint-Chinian soixante-dix volontaires gagnent le maquis. Tombés dans une embuscade tendue par les Allemands, cinq d’entre eux sont tués et dix-huit prisonniers sont fusillés le lendemain au Champ de Mars de Béziers. Le 21 août des blindés allemands, traversant la ville, tirent sur des civils désarmés en tuant dix et en blessant quarante. La résistance de Béziers à l’occupation allemande est magnifiée par la figure de Jean Moulin.

En 1940, lorsque les Allemands envahissent la France, Jean Moulin est Préfet d’Eure-et-Loire. Les Allemands l’emprisonnent parce qu’il refuse de signer une déclaration rendant des soldats sénégalais responsables d’atrocités. Afin de ne pas céder aux pressions, il préfère se trancher la gorge. Le foulard dont il s’entoure le cou masque désormais la cicatrice. Mis en disponibilité par Vichy, Jean Moulin gagne Londres où le général De Gaulle lui confie la mission d’unifier la résistance. En 1942, il se fait parachuter en zone libre, se fait connaître par les pseudonymes de »Max», «Rex», «Mercier», dote les mouvements de résistance de services communs de transmission, d’informations, de parachutages, de financement et réussit en 1943 à créer le Conseil National de la Résistance. Son rôle dans l’unification des mouvements de résistance au sein du Conseil national de la Résistance fut primordial. A la suite d’une trahison, il fut arrêté, torturé par la Gestapo il mourut dans le train qui le déportait en Allemagne.

L’ après guerre

Le parti communiste, solidement implanté dans la classe ouvrière et qui dispose d’un grand savoir faire dans la mobilisation des masses lors des manifestations, augmente son poids électoral dans la ville. De 1945 à 1947, le communiste Joseph Lazare est élu maire de Béziers. Cependant, bien qu’affaiblis du point de vue électoral, dès 1947, les radicaux n’en conservent pas moins la direction de la municipalité jusqu’en 1977 avec Émile Aïn, Émile Claparède et Pierre Brousse. Le parti socialiste, sorti affaibli de l’épreuve de la guerre, fait pencher la balance d’un côté ou de l’autre par son soutien ou son abstention.

Les conflits du travail font irruption dans la cité, souvent orchestrés par la C.G.T. avec le
soutien du P.C.F. qui cherchent à faire la démonstration de leur force. Il en résulte des conflits très durs, des grèves largement suivies, émaillés quelquefois de violents incidents (3 décembre 1947).

Les conflits du travail, le très long mouvement de grève de 1968, le conflit de la Cameron en 1977, les actions menées contre la fermeture des usines, longues, exacerbées, sans concession, telles la lutte contre la fermeture des usines Fouga en 1961, 1962, 1964, ou celle de la succursale Renault, n’empêchent rien mais donnent à la ville une réputation qui éloigne momentanément les implantations nouvelles.

Depuis les années 1953, Béziers devient un des lieux principaux des rassemblements et des protestations des viticulteurs et inaugure une nouvelle forme d’action, le barrage routier. La ville se montre souvent solidaire, son économie essentiellement viticole la rendant sensible à la chute des cours du vin ou aux importations de vins étrangers.

Le 5 février 1976, les syndicats ouvriers accordent leur soutien aux organisations viticoles et les commerçants participent à une opération violente. Pour spectaculaires, violentes et médiatiques qu’elles soient ces actions ne règlent rien et freinent au contraire le renouveau de la viticulture.

Pour se construire et se développer au cours de sa longue histoire, la ville a mis à profit la présence de deux collines, Saint-Nazaire et Saint-Jacques, dominant la vallée de l’Orb, franchissable à gué. Au delà de l’Orb, le Faubourg n’a connu qu’une extension récente et limitée en raison du danger présenté par les crues de l’Orb. Si dans la mentalité des Biterrois la réalité du centre coïncide avec le centre historique, avec les Allées et par extension avec le péri centre limité par l’avenue de la Liberté, la période qui s’étend de 1857 à 1952 apparaît comme la fin d’une stabilité séculaire due à un nouveau dynamisme économique et démographique entraînant l’amorce de grandes mutations sous l’influence de facteurs endogènes liés à l’enrichissement de la ville. Période de dynamisme suivie d’une longue léthargie, qui est un peu celle des occasions manquées, pendant laquelle on hésite entre le centre et la périphérie, sans choisir une direction nette et structurante.

Pendant tout un siècle, sous l’influence de facteurs endogènes, de son propre dynamisme économique et démographique, de nouvelles infrastructures dues au progrès des modes de communication, la ville de Béziers a été amenée à prendre en compte la recherche d’un nouvel espace vers l’Est entraînant le transfert des hommes et des activités. Le nouvel élan qui s’esquisse vers 1950, va conduire à l’éclatement consommé, le marquage de l’espace central étant alors appelé à traduire le poids de structures exogènes, l’insertion de Béziers dans des circuits extra-locaux et extra-régionaux : banques, chaînes commerciales, compagnies d’assurances, etc.

En 1952, le débat et la dynamique du balancement entre centre et périphérie ne sont pas encore définitivement tranchés, mais le devenir urbain de Béziers se trouve placé désormais sous l’influence de facteurs exogènes que la ville saura attirer ou repousser.

Du point de vue urbanistique, le plan de Béziers en 1972 montre deux ensembles, séparés par l’axe des Allées Paul Riquet, qui regroupent les cafés, les grands magasins, le siège des banques. Le “marché du vendredi” y attire les courtiers, les négociants en vin et les vignerons du Biterrois.

A l’ouest, le centre ancien regroupe des maisons anciennes et souvent dégradées, où voisinent ouvriers et boutiquiers ; c’est le secteur le plus animé et le plus varié grâce à la présence de l’hôtel de ville et de la poste, du lycée et des halles, de la cathédrale Saint-Nazaire et des principaux édifices religieux (Saint-Aphrodise, la Madeleine, Saint-Jacques), des musées des Beaux Arts et du Vieux-Biterrois.

A l’est, les quartiers plus récents sont tout aussi hétérogènes. Les commerces ont franchi les Allées pour gagner l’axe de l’avenue Saint-Saëns, vers les Arènes et les voies privilégiées : avenue Clemenceau vers Pézenas au nord-est, avenue Wilson vers Sète au sud-est. Les boutiques cèdent peu à peu la place aux magasins spécialisés et aux garages, puis aux pavillons individuels.

Les immeubles collectifs autour des bassins, de l’hôpital (H.L.M. de la Dullague) et de la déviation est traduisent les extensions récentes en auréoles successives, qui gagnent peu à peu sur le vignoble et les grandes propriétés de la campagne biterroise.

La coupure fondamentale des Allées apparaît également au niveau des catégories socio-professionnelles et de l’équipement sanitaire. La partie occidentale abritant les ouvriers dans des immeubles insalubres qui datent du début du siècle ; près de la moitié des logements de la ville ont été bâtis entre 1871 et 1914, traduisant bien mal, alors, l’âge d’or de la viticulture Biterroise.

L’étalement urbain

La recherche d’horizons plus lointains préfigure à Béziers l’étalement urbain qui se
développe à partir des années 1960 dans tout le pays. Mais à Béziers, il n’est pas lié au
développement démographique. Il résulte, dans un premier temps de la nécessité de rechercher de l’espace pour les immeubles à habitat collectif, à l’habitat social de type H.L.M. qui répondent aux besoins découlant des destructions opérées au lendemain de la guerre, mais aussi à la recherche d’un confort moderne alors absent des logements de certains quartiers du centre ville souvent dévalorisés et quelquefois vétustes. Cette programmation se prolongera sur un long laps de temps. Elle portera sur des centaines de logements, quelques services de proximité et la construction d’écoles à la Dullague, à la Grangette et à L’Iranget.

Lorsque la ville recherche une solution immédiate et rapide pour accueillir les rapatriés
d’Algérie, c’est vers le Sud-Est qu’elle se tourne. La construction du nouveau quartier excentré de la Devèze se fait plus au Nord du Capiscol afin de bénéficier des infrastructures et des réseaux de la nouvelle zone industrielle. L’habitat, essentiellement collectif, permet d’accueillir 6 000 rapatriés qui dynamiseront en partie la ville. Ainsi se construit une quartier excentré, qui se révélera une ville bis, souvent coupée du centre ville, à tel point qu’il faudra dans les écoles organiser des classes de ville pour permettre aux enfants de connaître le Béziers historique.

L‘étalement urbain est favorisé par l’explosion des mobilités. Émergente aux lendemains de la seconde guerre mondiale, elle connaît un développement exponentiel et permet l’accroissement de la vitesse de déplacement qui favorise l’étalement urbain. A partir de 1960, l’accroissement du parc automobile et l’explosion des mobilités engendre une dilatation croissante des espaces urbains et des territoires. Les Biterrois de plus en plus motorisés font le choix de délaisser le centre ville au bénéfice de la maison individuelle en périphérie de la ville et très souvent dans les villages environnants. Il en résultera à la fin du XXe siècle qu’il n’est plus possible de parler de la population de la ville de Béziers sans faire référence à l’ensemble de la population biterroise et aux communes qui constituent son aire d’attraction. Cela ne sera pas sans influence sur la structuration de la centralité de Béziers.

L’étalement urbain n’est pas le seul fait de l’habitat pavillonnaire, les zones consacrées aux activités économiques, presque toujours en périphérie sont dévoreuses d’espace, d’infrastructures et d’équipement. La mutation de l’économie biterroise est aussi un facteur de mutations urbaines.

Au lendemain de la seconde guerre mondiale la persistance du marasme agricole compromet l’équilibre d’une économie construite sur la viticulture. Dans les années soixante, la viticulture et l’industrie traditionnelle de la ville et de l’arrondissement rencontrent de sérieuses difficultés marquées par la fermeture des usines textiles du Saint-Ponais, la baisse de la production des mines de Graissessac, la fermeture de Fouga.

Dans ces mêmes années, la reconversion de l’économie biterroise s’amorce. Le secteur du bâtiment, porté par les équipements publics, est en pleine extension, de même que les services privés et le commerce, ce qui provoque de 1954 à 1962 une diminution du chômage. Une nouvelle économie se met en place dans laquelle le rôle moteur n’est plus assuré par le secteur viti-vinicole mais par les initiatives de la mairie et des pouvoirs publics.

Accéléré par l’arrivée des rapatriés, le secteur du bâtiment prend le relais. Il est dopé par le commencement de la construction du Cap d’Agde, dont les travaux d’infrastructure sont confiés à la S.E.B.L.I. et par les équipements de la ville de Béziers : construction de la Devèze de logements H.L.M, de nombreux groupes scolaires, de la piscine, du palais des congrès, de stations d’épuration et de traitements des ordures ménagères, stades.

Anticipant le plan d’urbanisme directeur de 1968, la ville qui recherche des terrains pour
transférer et accueillir des activités industrielles crée en 1960 la zone industrielle du Capiscol, un tènement de plus de 150 hectares qui se révèle structurant mais engendre un transfert d’entreprises situées en centre ville ou en péri centre.

Les indicateurs économiques des années 1980 montrent que l’effort de structuration entrepris dans les années 1960 ainsi que le désenclavement de la ville par la mise en place de voies routières rapides (bretelle Est et rocade Nord en liaison avec l’autoroute A9, ouverte en 1974) ont porté leurs fruits.

Toutes ces infrastructures et ces équipements se font vers l’Est et tournent le dos au centre ville sans pour autant l’appauvrir gravement. Vers Badones pour accueillir la clinique mutualiste, vers la Dullague, la Grangette et l’Iranget où s’implantent des centaines de logements et quelques services de proximité entraînant un basculement total vers l’Est d’une grande partie de la population, définitivement écartée du centre.

Le temps de la planification et de la programmation

Entre 1965 et 1977, la ville prend en main la conduite de l’urbanisation. C’est d’autant plus urgent et nécessaire que la superficie de la ville en un peu plus d’une décennie est passée de 200 hectares à 2 000 hectares, c’est-à-dire qu’elle occupe dix fois plus d’espace.

La municipalité Claparède se donne alors pour objectif de limiter les dégâts en centre ville et de maîtriser le développement vers l’Est. Elle se dote d’un cadre bien défini pour se projeter vers l’avenir, d’uneméthode reposant sur la planification et la programmation, d’un outil, la SEBLI, pour conduire les aménagements et d’un contrat de plan pour le centre, le contrat ville moyenne.

Et effectivement quelques réalisations majeures se font en centre ville : la première partie du parking Jean Jaurès, la démolition de la Maison du Peuple et la création du Palais des Congrès. Un peu plus loin, se réalise le stade nautique. Les activités industrielles occasionnant des nuisances, les grossistes et les abattoirs se replient vers la zone industrielle. Ce qui permet sur les espaces libérés, route de Bédarieux, de construire une H.L.M., un espace de jeux, la caserne des pompiers, une opération qui permettra de fixer de nouveaux résidents à proximité de la Font Neuve, et non loin de la gare du Nord. De nouvelles infrastructures voient le jour en périphérie : la station d’épuration, la voie d’évitement Nord, tandis que la circulation automobile est ouverte sur le Pont Vieux.

Lorsque la ville souscrit en 1977 le contrat ville moyenne, après le temps des grands
ensembles péri-urbains, des ZUP, et des grandes opérations d’urbanisme, les interventions sur les quartiers anciens se multiplient. La législation met l’accent à la fois sur les quartiers anciens s’appuyant sur un patrimoine architectural en apparence délaissé mais vite retrouvé à travers les secteurs sauvegardés, de contrats ville moyenne, des travaux des A.R.I.M.

Une centralité en voie d’éclatement

Au seuil des années 80, Béziers, s’inscrivant dans l’évolution des villes du Languedoc-Roussillon, balance entre centre et périphérie et enregistre l’essaimage d’activités centrales jusque là concentrées au centre ville. Sa centralité, qui monopolisait sur un espace central réduit en extension l’essentiel des activités urbaines de haut de gamme, commerce spécialisé, administration, tout l’appareil tertiaire dont la concentration dans un tissu urbain souvent inadapté, menacée par une accessibilité de plus en plus malaisée, pose problème. La ville offre alors le parfait exemple d’un centre-ville éclaté en trois sous-ensembles voisins et indissociables, mais désormais bien individualisés :

  • l’espace aréolaire des quartiers anciens, à la fois totalisateur historique et lieu privilégié de concentration des pouvoirs et de l’appareil commercial ;
  • la coupure linéaire des Allées, centre ludique et lieu de rencontre obligé, une limite devenue axe de symétrie;
  • le semis d’un péri-centre (le terme étant pris ici dans son sens étroit d’espace situé à la périphérie du centre ancien), héritier du transfert de toute une série d’activités vers l’est, mais appuyé sur une série de points forts.

Les trois espaces centraux de Béziers

Ils conservent un dénominateur commun, les établissements commerciaux partout présents, et la ventilation d’éléments de l’appareil administratif sur chacun des trois ; à titre d’exemple le pouvoir municipal reste dans le centre ancien, la sous-préfecture a été transférée place De Gaulle, les sièges des principales banques colonisent les Allées et la place de la Citadelle. La spécialisation de chacun d’entre eux souligne l’existence d’un modèle de centre-ville en rupture avec des héritages historiques longtemps maintenus.

  • A. Le centre historique

Son cadre géographique, bien défini, s’inscrit dans un arc de cercle délimité à l’ouest par le talus qui domine le cours de l’Orb, la rectitude des Allées Paul-Riquet soulignant la corde de l’arc. Ce déterminisme physique, en bordure d’un plateau, offrait un certain nombre de potentialités plus ou moins exploitées ou rejetées au gré des époques, mais en fonction d’un certain nombre de constantes qui se sont maintenues jusqu’à l’époque actuelle :

  • l’axe essentiel du decumanus maximus concentre de nombreux commerces sur la voie piétonne des rues Viennet et du Quatre-Septembre, de part et d’autre de l’ancien forum (place Gabriel-Péri) ;
  • l’acropole de Saint-Nazaire constitue l’image classique et diffusée de la ville, plus à usage externe que pour le citadin lui-même ;
  • l’ancienne coupure de Canterelles une entaille échancrant le plateau et ménageant le passagede la voie domitienne vers le gué puis le pont sur l’Orb, isole le quartier populaire de Saint-Jacques.

L’assimilation quartiers anciens/centre-ville est donc un peu rapide; en fait c’est la partie
médiane qui constitue le centre du centre, et cela depuis la fondation de la colonie romaine (en 46 A.c.) ; la périphérie intra muros est à la fois populaire et artisanale.

  • B. L’axe des Allées

Les Allées restent une création du XIXe siècle, exemple peut-être unique dans la France méridionale d’une promenade-lieu de rencontre et d’échange que l’on ne retrouve ni à Perpignan, ni à Nîmes, ni à Narbonne, et qu’il faut aller rechercher au-delà des Pyrénées, plus précisément sur les Ramblas de Barcelone.

Des points forts structurent l’ensemble; le théâtre sorti de la vieille ville et implanté en 1844 sur son emplacement actuel, et plus lointaine, la gare qui entraînera en 1870 l’aménagement du Plateau des Poètes. Désormais les Allées sont à la fois bornées et prolongées au nord et au sud, il leur reste à annexer l’emplacement libre de la Citadelle, d’abord marché, lieu de foires et de concerts, concentration de cafés, puis aire de stationnement d’autobus et d’automobiles.

  • C. Le péricentre à l’Est

Le nouveau tissu urbain qui se met en place à la fin du XIXe siècle constitue plus qu’un
desserrement, il traduit une véritable mutation économique. C’est le temps de l’étalement, d’une consommation d’espace sans contrainte, après la sortie d’un centre ancien étriqué et l’annexion des Allées. Le péricentre se structure en trois secteurs privilégiés qui conduisent à l’éclatement du centre :

  • l’axe de l’avenue Saint-Saëns, avec ses résidences privées, ses cliniques, relayées par les salles de spectacle puis par le palais des congrès, jusqu’au nouveau secteur hospitalier et scolaire de l’est ;
  • la place Suchon, créée à la disparition de I’Hôtel-Dieu en 1932, regroupant caisse d’épargne et d’allocation familiales, hôtel de police, lycée Riquet, central P.T.T., terminus de bus et sous-préfecture ;
  • la Z.A.C. de la Gare du nord, qui reçoit en 1977 la nouvelle poste mais reste encore incomplètement utilisée. On rappellera enfin la présence de l’ensemble caserne Duguesclin/place du 14 juillet qui connaît des fortunes diverses depuis 1876, sans constituer l’amorce d’une centralité quelconque.

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Source:

http://edouard.bertouy.pagesperso-orange.fr

http://www.midilibre.fr – Emmanuelle Boillot (3-7-2014)

En Languedoc au XIIIe siècle – Monique Bourin

http://jc34.eklablog.com

http://polymathe.over-blog.com

https://matthieulepine.wordpress.com