Pourquoi de nombreuses femmes s’identifient-elles comme “principalement hétérosexuelles” ?

7.7.2021 – Dans les sondages, environ 95 % des femmes s’identifient comme hétérosexuelles, mais lorsqu’elles sont interrogées sur l’attirance sexuelle, leurs réponses deviennent plus complexes … .
Nous supposons généralement qu’une femme est hétéro, sauf preuve du contraire, que ce soit par ses paroles, son apparence ou sa profession. Tous ces éléments seraient de mauvais prédicteurs de ses penchants sexuels et romantiques, car la façon dont elle se définit est beaucoup plus complexe.
Une prévalence des femmes majoritairement hétérosexuelles

Avec la chercheuse en sexe Zhana Vrangalova, nous avons passé en revue tout ce que nous avons pu trouver sur le phénomène principalement hétéro. Dans les enquêtes nationales, lorsqu’on leur donne la possibilité de s’identifier comme hétéro, bisexuelle, lesbienne ou incertaine, plus de 95 % des femmes choisissent hétéro, mais cela ne veut pas dire qu’elles sont exclusivement hétéro. Les trois autres identités possibles varient généralement de 1 % à 3 % chacune.
Si, cependant, elles sont interrogées sur leurs attirances sexuelles, le nombre de femmes qui sont exclusivement attirées par les hommes chute de manière significative à un peu plus de 90 %. Cette diminution s’accompagne d’une augmentation correspondante du nombre de femmes qui sont pour la plupart hétérosexuelles : « principalement hétérosexuelles mais quelque peu attirées par les personnes de votre sexe ».

Dans toutes les études, la fourchette est large, de 5 % à 15 %, ce qui est plus grand que le nombre total de femmes qui sont à peu près également attirées par les hommes et les femmes (bisexuelles) ou exclusivement attirées par les femmes (lesbiennes). Ces chiffres nationaux varient, en partie, selon l’âge de la population échantillonnée. Par exemple, avec les jeunes adultes de l‘étude Adult Health, ceux exclusivement attirés par les hommes sont tombés à 78% ; prenant le relais avec 15% étaient principalement des femmes hétérosexuelles. Les bisexuels, principalement des lesbiennes, et les lesbiennes constituaient le reste. Donc, si nous donnons aux femmes le choix d’indiquer un statut principalement hétéro – que ce soit en termes d’identité, d’attirance sexuelle, d’attirance romantique, de fantasme, de sexe ou de romance – un assez grand nombre de femmes, indiquent qu’elles ne sont pas totalement hétéro.
Changements développementaux

Cela est vrai, que vous interrogiez les femmes sur leur compréhension passée d’elles-mêmes, du temps présent ou d’un avenir idéalisé. Sur le plan du développement, un statut principalement hétérosexuel augmente au cours de l’adolescence, culminant vers le début de la vingtaine et restant relativement élevé entre la mi-vingtaine et la mi-trentaine (et peut-être plus tard, mais nous ne le savons pas actuellement). Même au sein de la population de jeunes adultes, la prévalence du fait d’être principalement hétéro augmente de la première année à la dernière année du collège.
Du début de l’adolescence à l’âge adulte, dans une étude, une identité principalement hétérosexuelle était stable pour environ la moitié des femmes qui ont initialement revendiqué cette identité. Parmi celles qui ont évolué vers ou s’étant éloignés d’une identité principalement hétérosexuelle, la grande majorité a migré vers ou a émigré d’une identité hétérosexuelle, et non bisexuelle ou lesbienne. Peut-être que les femmes vivant dans des environnements progressistes sont plus susceptibles de remettre en question les préjugés culturels et les stéréotypes sur les catégories sexuelles, ce qui fait que les femmes décrivent leur attirance sexuelle et/ou leur comportement non pas comme “direct et étroit” mais comme “progressif et principalement hétéro.”

Pourquoi ce décalage ?

Plusieurs enquêteurs ont tenté de comprendre ce que ces femmes non exclusivement hétérosexuelles entendent par dire “majoritairement hétérosexuelles”. Nous savons d’après des recherches antérieures que toute mesure qui ne fournit pas plus de trois ou quatre options d’identité ne reflète pas l’expérience de nombreuses femmes. Elles apprécient un terme, une identité pour leur orientation non nulle envers les autres femmes qui ne nie pas leurs attirances sexuelles et romantiques significativement fortes pour les hommes. Si elle n’est pas fournie, la plupart diront hétéro plutôt que bisexuelle car elle reflète mieux les proportions relatives de leurs attirances. Cependant, si elles sont laissées à elles-mêmes, elles créent leur propre identité telle que pansexuelle, bi-curieuse, interrogative, fluide, non binaire, queer, sans étiquette, hétéroflexible et autres.
Récemment, les psychologues Liam Wignall et Helen Driscoll ont interrogé des femmes sur leurs raisons de s’identifier comme étant principalement hétérosexuelles. La plupart étaient frustrées par les catégories existantes, qui ne décrivaient pas avec précision leurs désirs sexuels ou romantiques. Elles ont rappelé à la fois leurs relations passées avec des sexes multiples et leurs désirs de maintenir cela à l’avenir – de laisser des portes ouvertes.
Beaucoup considéraient leur sexualité comme fluide et tombant sur un spectre :
La sexualité comme un continuum sur lequel on peut se déplacer ou une échelle qui dépend non seulement des désirs sexuels, mais aussi des attractions émotionnelles et des histoires personnelles.
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H. ch. F. hétérosexuelle, fécondable, souriante et aimant le rouge. S’adresser au service scientifique.
2.3.2012 – J’ai déjà évoqué, il y a quelques mois, les rapports entre études de genre et sciences exactes et plus précisément, la manière dont les neurosciences traitent les différences sexuelles (c’est-à-dire en partant généralement de ce présupposé, justement, de la différence, qu’il s’agit d’étayer, de confirmer et de perpétuer). D’ailleurs, si vous ne le connaissez pas encore, je vous conseille d’aller faire un tour sur antisexisme.wordpress.com, un blog qui se donne pour objectif de « combattre le sexisme par la science ».

Le numéro de février du magazine Sciences et avenir, que j’évoquais dans ma dernière revue de presse, présente tout un dossier intitulé « Homme – Femme: La science face aux idées reçues ».
Ce dossier s’interroge sur le « piège infernal » de la différence sexuelle envisagée du point de vue des sciences exactes, et sur l’effort des scientifiques pour produire « une description raisonnée de la nature, de mettre toutes ses objets dans des boîtes, avec des étiquettes clairement identifiables », au détriment des sujets de leur individualité irréductible. (Je cite l’éditorial de Dominique Leglu). Le dossier est vraiment bien fait, je vous le conseille.
Cette question du « neurosexisme », ou plus largement de la manière dont la science interroge et interprète les différences (sexuées ou genrées, selon le point de vue que l’on adopte) suscite de plus en plus de travaux de vulgarisation, comme Cerveau rose, cerveau bleu. Les neurones ont-ils un sexe? de Lise Eliot et l’excellent Delusions of Gender de Cordelia Fine, malheureusement pas (encore?) traduit en français.

Un autre type de travaux scientifiques (ou se prétendant tels) concernant les hommes et les femmes a récemment attiré mon attention. Plus précisément, ces travaux semblent concerner les relations entre hommes et femmes. Je dis « semblent », car quatre exemples récents ont en commun une caractéristique frappante: ils décrivent l’effet qu’ont les femmes sur la libido des hommes. Jamais le contraire.
1) Le premier exemple vient d’un article qui n’est malheureusement plus disponible en ligne, à moins que vous soyez abonné.e au Monde.fr; il est intitulé « Les femmes rendent-elles les hommes stupides? » (noter la subtilité du titre, en accord avec celle de l’étude). Cet article semble avoir été copié sur ce forum, mais je ne peux pas assurer qu’il s’agisse de la version exacte. Un bref extrait:
Des études de psychologie ont montré que les messieurs hétérosexuels réussissaient moins bien des tests cognitifs après avoir discuté avec une dame qu’avant. L’inverse n’est pas vrai.
2) Le second article qui a attiré mon attention est un compte-rendu du même journaliste, Pierre Barthélémy, qui tient le blog « Passeur de sciences ». Le titre est, là aussi, aguicheur: « Mesdames, votre fertilité rend les hommes éloquents ». La question à l’origine de l’étude dont il est question est la suivante:
Et si les hommes en quête de partenaire devenaient plus éloquents ou changeaient leur manière de parler en fonction de la fécondabilité de leur “cible” ?

Et maintenant le protocole, tenez-vous bien: on confronte des hommes (testés à leur insu) à des femmes « ne prenant pas la pilule et donc susceptibles d’être fertilisées à un moment de leur cycle menstruel ». Je n’entre pas dans les détails, mais le résultat montrerait (de façon peu probante cependant) que les hommes seraient capable de repérer les femmes « fertilisables » et ajusteraient leur comportement et leur manière de s’exprimer en fonction de ce critère.
On retrouve dans ces deux études l’idée que le comportement des hommes serait guidé non seulement par leurs hormones, mais par le désir de se reproduire.
3) Troisième exemple, où l’on retrouve la tendance des auteurs de compte-rendus scientifiques aux titres pour le moins provocants: « Pourquoi les femmes vêtues de rouge excitent les hommes ». Où l’on apprend notamment que les femmes en rouge sont jugées plus réceptives sexuellement.
4) Quatrième et dernier exemple, trouvé par hasard alors que je faisais des recherches pour ce billet: « Bien interpréter un sourire féminin ». A nouveau, le point de vue est masculin, et il s’agit d’étudier l’effet que produisent les femmes sur les hommes, et ses implications sexuelles (… ou pas). Où l’on apprend cette fois que « les hommes cherchant une aventure rapide sont plus enclins que les autres à surestimer l’attirance des femmes pour eux ». (« Ben alors, mademoiselle, t’es pas très souriante dis donc! »)
A quand une étude sur l’effet produit sur les femmes par les hommes pas très souriants, portant du rose et en recherche de partenaire sexuelle? Et à quand une étude sur le désir dans les relations homosexuelles?
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“Réinventer l’amour”, de Mona Chollet : comment sauver le couple hétéro ?
14.9.2021 – Est-il encore possible, lorsque l’on est une femme et une féministe convaincue, d’être en couple avec un homme ?
Entre charge mentale domestique, insatisfaction sexuelle et parfois violences psychologiques ou physiques, pour beaucoup, aujourd’hui, la balance semble pencher lourdement en défaveur du couple hétérosexuel !
Dans “Réinventer l’amour. Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles” (La Découverte, Zones, 2021), Mona Chollet passe en revue les différentes raisons d’en finir avec cette forme de couple… pour finalement plaider en sa faveur. Il est au fond bien difficile de faire la peau à un idéal si largement partagé. Mais pour Chollet, l’aspiration à un couple égalitaire entre un homme et une femme, aussi idéaliste soit-elle, peut servir de tremplin à un bouleversement des pratiques amoureuses.

RÉINVENTER L’AMOUR
Mona Chollet
Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles
Nombre de femmes et d’hommes qui cherchent l’épanouissement amoureux ensemble se retrouvent très démunis face au troisième protagoniste qui s’invite dans leur salon ou dans leur lit : le patriarcat. Sur une question qui hante les féministes depuis des décennies et qui revient aujourd’hui au premier plan de leurs préoccupations, celle de l’amour hétérosexuel, ce livre propose une série d’éclairages.
Au cœur de nos comédies romantiques, de nos représentations du couple idéal, est souvent encodée une forme d’infériorité féminine, suggérant que les femmes devraient choisir entre la pleine expression d’elles-mêmes et le bonheur amoureux. Le conditionnement social subi par chacun, qui persuade les hommes que tout leur est dû, tout en valorisant chez les femmes l’abnégation et le dévouement, et en minant leur confiance en elles, produit des déséquilibres de pouvoir qui peuvent culminer en violences physiques et psychologiques. Même l’attitude que chacun est poussé à adopter à l’égard de l’amour, les femmes apprenant à le (sur ?) valoriser et les hommes à lui refuser une place centrale dans leur vie, prépare des relations qui ne peuvent qu’être malheureuses. Sur le plan sexuel, enfin, les fantasmes masculins continuent de saturer l’espace du désir : comment les femmes peuvent-elles retrouver un regard et une voix?Mona Chollet est journaliste et essayiste. Elle a notamment publié Sorcières. La puissance invaincue des femmes, Chez soi. Une odyssée de l’espace domestique et Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminine (Zones, respectivement 2018, 2015 et 2012).
Le paradoxe du couple hétéro

Depuis que le féminisme existe, on le sait, il y a quelque chose de vicié au royaume de l’hétérosexualité. Mona Chollet résume l’arnaque en quelques lignes : “La perversité de nos sociétés est de nous bombarder d’injonctions à l’hétérosexualité tout en éduquant et en socialisant méthodiquement les hommes et les femmes de façon qu’ils soient incapables de s’entendre.” Problème : “Des partenaires qui se conforment à la lettre à leurs scripts de genre respectifs ont toutes les chances de se rendre très malheureux.” Ces scripts fabriqueraient d’un côté des bulldozers qui vivent dans l’illusion de leur autonomie parfaite tout en reposant sur le travail gratuit de leur compagne, et de l’autre de frêles créatures affectivement dépendantes et sujettes à des sautes d’humeur incompréhensibles.

Érotique de l’inégalité

Rompre le cou à ces caricatures tout en maintenant la possibilité du couple hétérosexuel suppose de marcher sur une ligne de crête. Car tout parle contre lui : nous évoluons dans un univers où la domination des hommes est sans cesse érotisée, ce qui implique que les femmes “trop” (bien habillées, grandes, visibles, bavardes, intelligentes, créatives, etc.) sont a priori exclues du marché de l’amour. Les couples où la femme est plus jeune, plus instable économiquement ou professionnellement parlant sont légion, quand l’inverse semble plutôt relever de l’exception. Tomber sur un homme que le too much ne castre pas symboliquement relèverait alors du miracle.
L’hétérosexualité, un rêve d’idéaliste ?
La conclusion logique ne serait-elle pas pour les femmes de suivre les pas de Monique Wittig et Virginie Despentes, en faisant le choix politique du lesbianisme ? C’est une option possible, mais pas celle de Mona Chollet. Elle raisonne en idéaliste : certes, pour l’instant, les conditions de possibilité d’un couple égalitaire ne semblent pas réunies. Mais à force de changer les représentations, à force “d’érotiser l’égalité” par exemple, et pas l’ascendant d’un homme perçu comme un roc sur une petite créature fragile, les pratiques amoureuses évolueront peut-être. Pourquoi ne pas davantage représenter, mettre en valeur, de couples où la femme est par exemple plus âgée que son conjoint ?

Mona Chollet ne donne pas de recette, et assume une posture délicate qui pourrait se résumer ainsi : “Malgré tous les éléments que je viens de vous détailler afin de déboulonner le couple hétérosexuel, j’ai envie de croire que ça peut marcher, si certaines conditions sont réunies.” Ces conditions sont : que les hommes se préoccupent davantage du plaisir (sexuel, mais pas que) de leur partenaire, qu’ils prennent conscience du travail domestique parfois invisible mais indispensable qu’elles fournissent, parviennent davantage à désirer des femmes qui ont leur âge, voire sont plus âgées – Mona Chollet balaye l’argument de la simple préférence pour la jeunesse, montrant qu’elle est socialement et culturellement construite. Dans tous les cas, elle donne du boulot aux hommes hétéros !
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Source :
https://www.psychologue.net – 7.7.2021
https://cafaitgenre.org- Genre 2.3.2012
https://www.philomag.com – Victorine de Oliveira 14.9.2021