Suicide d’une infirmière de l’hôpital de Béziers : les conditions de travail en cause ?

14.6.2024 – Une infirmière du centre hospitalier biterrois aurait mis fin à ses jours en laissant une lettre posthume qui incriminerait l’hôpital. Une réunion extraordinaire sur les conditions de travail devrait se tenir ce lundi 17 juin.
Le personnel du centre hospitalier de Béziers est sous le choc. Une infirmière de 49 ans qui, selon nos sources, travaillait de nuit au service hématologie, se serait suicidée à son domicile, lundi 3 juin, en laissant à ses proches une lettre posthume où elle met en cause l’hôpital, évoquant des conditions de travail insupportables et un harcèlement moral. Une enquête de police sur les circonstances de la mort a d’ailleurs été ouverte.
Arrêt de travail
Mais difficile, à l’heure actuelle, de recueillir des témoignages ou une réaction des syndicats. Personne ne veut communiquer officiellement sur ce terrible drame. En revanche, appel, mail et courrier anonymes sont parvenus à la rédaction de Midi Libre, qui évoquent, eux aussi, “harcèlement” et “manque d’écoute” de la part de la direction et des médecins.
Les infirmières de ce service seraient en arrêt de travail, en solidarité avec leur collègue disparue. Et une réunion extraordinaire sur les conditions de travail se tiendra ce lundi 17 juin à l’hôpital – une information confirmée par Marc Valette, du syndicat FO.
Réaction du centre hospitalier
Dans un communiqué de presse reçu ce vendredi 14 juin, intitulé “Décès d’une professionnelle de l’établissement”, l’hôpital biterrois déclaré à propos de ce “décès soudain” : “Salariée depuis 16 ans, après une période de maladie, elle avait repris une activité professionnelle au sein des services du site de Perréal-Les Arènes. Sa disparition a suscité une forte émotion au sein de la communauté hospitalière”.
Il poursuit : “Mercredi 5 et vendredi 7 juin, la direction et l’encadrement des servies dans lequel elle avait exercé ces trois dernières années, sont allés à la rencontre des équipes pour les soutenir. Un dispositif d’accompagnement psychologique collectif ou individuel leur a été proposé”.
Enfin, “des rencontres avec les professionnels des services sont programmées la semaine prochaine pour poursuivre les actions de soutien entreprises. Le directeur de l’Agence régionale de santé a été prévenu”. Avant de conclure : “La communauté hospitalière s’associe à la douleur de ses proches et de ses collègues”.
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Après deux suicides, un rapport pointe du doigt de graves problèmes de communication à l’hôpital de Béziers
19.9.2024 – Un rapport réclamé par trois syndicats, et remis mercredi, pointe de graves problèmes de communication au sein de l’hôpital de Béziers. L’audit avait été réalisé après le suicide d’une infirmière, puis d’un brancardier. Un autre salarié a tenté début septembre de se donner la mort.

En juillet 2024, les syndicats de l’hôpital de Béziers (Force Ouvrière, CGT et CFDT) ont fait appel à un cabinet indépendant et externe pour réaliser un audit dans le service hématologie après le suicide d’une infirmière début juin. Elle avait fait part dans une lettre de sa souffrance au travail, du harcèlement moral et d’un management délétère. Peu de temps après ce drame, l’ensemble des 35 soignants du service (dont le cadre et les médecins) se sont mis en arrêt-maladie. Faute d’effectif, il a été fermé.
Le rapport de 108 pages (enquête réalisée du 24 juillet au 9 septembre) a été remis ce mercredi aux organisations syndicales avant d’être présenté le lendemain à la direction et à l’inspection du travail au cours d’une réunion extraordinaire. Les conclusions sont accablantes et pointent du doigt un grave problème de communication au sein de l’établissement hospitalier confie Magali Lafaille, la représentante de la CGT.
“La situation s’est délitée au fil des années” – CGT
Depuis ce décès, un brancardier a mis fin à ses jours à la fin du mois d’aout après avoir reçu à son domicile une lettre lui annonçant un changement de service. Ce sapeur-pompier volontaire avait témoigné, auprès de collègues, de harcèlement au travail. Début septembre, un autre employé a tenté de se donner la mort. L’hôpital de Béziers n’avait jamais connu autant de drames en si peu de temps.
Tous les services semblent être touchés par ce manque de communication interne d’après la CGT. Le personnel dit être abandonné, ne pas être entendu, ne pas avoir de retour aux problèmes qu’ils font remonter à leur chef de service et à la direction.
“Il y a un gros mal-être, un traumatisme qui dure depuis des années et qui est encore présent, même s’il y a eu quelque chose de mis en place ensuite. Des rencontres avec la direction, à priori des plans d’actions avec un ingénieur de projets. Mais ce traumatisme est encore présent et on sent les équipes encore vraiment très fragiles. Elles décrivent une situation qui s’est délitée au fil des années, mise en exergue avec le Covid. Elles décrivent un manque d’organisation avec des médecins, avec des glissements de tâches, des obligations de prendre des initiatives, des responsabilités qu’ils n’auraient peut-être pas dû prendre pour ne pas mettre le patient en danger. Le personnel décrit aussi le manque d’écoute parce qu’on a la possibilité de faire remonter à la direction via des fiches d’événements indésirables des problématiques et a priori, ils avaient du mal avoir un retour. Ce rapport fait état d’un vrai mal-être au travail.”
“Nous ne voulons pas que l’hôpital de Béziers soit le France Télécom des années 2000, il y a urgence à agir”, dixit Force Ouvrière. “Il y a un vrai problème de communication, c’est certain. Les outils mis en place par la direction sont méconnus, explique Fréderic Azaïs, secrétaire adjoint de Force Ouvrière. Le personnel a cette sensation de ne pas être écouté, le sentiment d’être abandonné, d’être un simple numéro. Ils ont rempli pour certains des fiches événements indésirables et les agents confient qu’ils n’ont aucun retour, d’où ce sentiment d’abandon il y a des non-dits.”
“Ils ont le sentiment d’être abandonnés par l’équipe médicale et par la direction, dit FO, parce que justement, on ne leur explique pas le pourquoi du comment. À cause des non-dits, ils ont ce sentiment d’abandon, car ils ne maitrisent pas les outils permettant d’avoir une réponse à leur problématique. Ils ont la sensation de se retrouver seul par moment et de l’avoir signalé pour rien. Le manque de communication à l’hôpital, il est général et s’est aggravé depuis deux à trois ans et on se rend compte que plus ça va et moins il y a de communication. Je ne dis pas que cela enlèverait tous les maux, mais souvent ça sauverait des situations qui peuvent devenir dramatique après”.
“La direction dit qu’elle n’avait pas notion de la gravité de la situation”- CGT
La direction que nous avons sollicitée n’a pas souhaité réagir. Ce jeudi matin, elle rencontrait les syndicats au cours d’une réunion extraordinaire du F3SCT (Formation spécialisée en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail / anciennement CHSCT) en présence de l’inspection du travail.
“La direction dit qu’elle n’avait pas notion de la gravité de la situation, conclut Magali Lafaille (CGT). Les agents l’ont pourtant longuement exprimé, c’est quand même remonté d’une façon ou d’une autre. Le directeur général lui-même s’est exprimé sur certains mots qui ont été mis dans ce rapport qui sont violents pour lui, style omerta. Après, ils nous ont dit que le plan d’actions qui a été mis en place va continuer”.
“La direction, et tout le monde au sein de l’hôpital, veut que cette situation s’arrête. Malheureusement, quand il y a un suicide dans les entreprises, après, des fois, ça peut faire boule de neige et ça, on n’en veut pas. Et je pense qu’eux les premiers n’en veulent pas”.
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Source :
Midi Libre 14.6.2024 – J.-P. A ET D. P. / France Bleu Hérault 19.9.2024 Stefane Pocher